Le Cese souhaite structurer le pilotage des politiques environnementales en réinventant leur évaluation
Rédigé le 16/06/2025
Comme la Cour des comptes avant lui, le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) a fait le constat que les politiques publiques environnementales ne sont pas suffisamment évaluées, ce qui constitue un vrai frein pour savoir ce qui fonctionne ou doit être amélioré.
Afin que les décideurs s’appuient sur des données fiables, il propose de créer une véritable culture de l’évaluation, qui reposerait sur une méthode précise.
“Nous constatons que les politiques qui visent à répondre aux défis environnementaux majeurs sont parfois difficilement évaluables, peu transparentes dans leur mise en œuvre et insuffisamment utilisées pour éclairer les décisions futures.” C’est ainsi que Thierry Beaudet, président du Conseil économique, social et environnemental (Cese), a introduit l’examen d’un avis de l’instance présenté ce mercredi 11 juin à propos de l’évaluation des politiques environnementales
Ce sujet n’a pas été choisi au hasard. Durant leur mandature, les membres du Cese ont tenté de comprendre dans quelle mesure les décideurs publics tenaient compte des résultats des politiques publiques passées pour mettre en œuvre celles de demain. Résultat : l’évaluation s’avère être le parent pauvre des politiques environnementales. Un constat déjà dressé par la Cour des comptes, dans un rapport publié en mars 2024
Par exemple, le Cese a planché sur la troisième Stratégie nationale pour la biodiversité, afin de proposer sa contribution. Les rapporteurs ont tenté d’obtenir l’évaluation de la SNB 2, une stratégie qui a tout de même été en vigueur de 2011 à 2020. “Et là, quelle horreur d’apprendre qu’elle n’est même pas évaluable : après presque dix ans de politiques publiques, on nous dit finalement que l’on ne sait pas vraiment dire ce qui a marché ou non, quels objectifs ont été atteints… Comment peut-on construire une nouvelle politique sans avoir ce recul ?”, s’est offusqué Sylvain Boucherand, président de la commission “Environnement” du Cese. De la même manière, lorsque le Cese s’est plus récemment intéressé au plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC), dont la troisième version a été présentée en mars dernier, dresser un bilan de l’édition précédente s’est avéré impossible.
Les spécificités de la thématique environnementale
“Il s’agit de faire de l’évaluation un outil utile, lisible et partagé, qui renforce la qualité des politiques environnementales, nourrit le débat public et donne aux citoyens des repères pour comprendre et agir, a poursuivi le président du Cese. Il va sans dire que ces préconisations seraient valables pour d’autres politiques publiques.”
Pour autant, les politiques environnementales se distinguent par certaines spécificités, complexifiant leur évaluation et nécessitant donc une attention accrue. En premier lieu, elles ont rarement des effets immédiats, et doivent être pensées sur le (très) long terme. Par ailleurs, leurs effets peuvent être “diffus”, selon les mots de Sylvain Boucherand. “Et puis ces politiques sont relativement nouvelles dans nos politiques publiques ”, poursuit le président de commission, pour qui l’élaboration d’une méthode de travail d’évaluation s’avère d’autant plus nécessaire.
Élaborer un dispositif d’évaluation dès la conception
L’évaluation est indispensable pour savoir si une politique publique a porté ses fruits, dans quelle mesure elle doit être améliorée et tout simplement savoir si elle doit être pérennisée ou non. Mais l’évaluation ne va pas de soi : elle doit être pensée dès l’élaboration de la politique publique. Les objectifs doivent être identifiés, comme les indicateurs et les données qui en résulteront. “Cela suppose aussi de définir qui participera à cette évaluation, comment et à quel moment”, a souligné le président du Cese.
C’est donc dès sa conception que toute politique publique environnementale devrait être accompagnée d’un dispositif d’évaluation précis. “Le mot d’ordre principal est “anticiper”, explique Catherine Guerniou, corapporteure de l’avis. C’est-à-dire définir dès la conception de la politique les modalités d’évaluation permettant de réduire les biais d’interprétation et de mesurer l’ensemble des effets de cette politique y compris socioéconomiques.”
Pour une planification stratégique des évaluations
Ainsi, les rapporteures de l’avis distinguent trois temps de l’évaluation, qui correspondent au déroulement temporel de la mise en œuvre de la politique visée. Le premier est le temps “ex ante”, avant ou parallèlement à l’élaboration de la politique publique. Le deuxième, “in itinere”, vise à suivre le déroulement de cette politique “et contrôler en cours de route que l’on est en bon chemin pour atteindre les objectifs fixés et voir si on a des écarts ou non avec les prévisions établies”, explique Marie-Hélène Meyling, corapporteure. Enfin, le dernier temps,“ex post”, est celui du bilan, et consiste à confronter les résultats de la politique publique avec les objectifs initialement fixés. Le but : orienter les futures décisions.
Le Cese préconise donc de mettre en place une “planification stratégique des évaluations”, accompagnée d’un programme annuel qui déterminerait les évaluations prioritaires. Celle-ci pourrait s’accompagner de la création d’une plateforme nationale, qui regrouperait l’ensemble des évaluations des politiques publiques environnementales. Les rapporteures proposent par ailleurs de systématiser la réalisation d’une évaluation pour les politiques nationales dont le budget dépasse un certain seuil, qu’il resterait à définir.
Création d’une culture partagée
Les décideurs peuvent potentiellement être frileux à l’idée que leurs politiques publiques soient évaluées, craignant que cela revienne à faire leur procès. “Nous avons donc besoin de changer cette culture et de faire de l’amélioration de l’évaluation un sujet d’amélioration collectif, où chacun prend sa part”, souligne Sylvain Boucherand. L’une des préconisations de l’avis du Cese est d’ailleurs de former les décideurs à l’utilité de l’évaluation.
Changer de culture, c’est aussi comprendre que l’évaluation ne doit pas être un simple constat : elle devrait systématiquement s’accompagner de recommandations “claires et pratiques, voire de scénarios comparés”, explique Marie-Hélène Meyling. Des conditions indispensables pour que ces exercices servent réellement au processus de décision.
Ce changement de paradigme s’avère d’autant plus essentiel dans le contexte actuel, marqué d’un côté par la crise des finances publiques et, de l’autre, par les reculs croissants sur les politiques environnementales préalablement votées. Changer les règles devrait reposer sur une évaluation précise, qui objectiverait les décisions publiques.
13 juin 2025
Philippine Ramognino
pour ACTEURS PUBLICS