L’Etat a annoncé le 5 mars 2024 encourager les employeurs à augmenter les professionnels de la petite enfance de 150 € nets en moyenne par mois. Une augmentation que la CNAF cofinancera à hauteur de 66%. Les maires, à l’instar des autres acteurs, réclament une prise en charge totale par l’Etat. 

Il aura fallu vingt mois pour que les acteurs de la petite enfance connaissent enfin le montant du « bonus attractivité », l’aide financière de l’État pour inciter les employeurs de la petite enfance – associations, entreprises de crèches, collectivités – à augmenter le salaire des professionnels de la petite enfance. Le 5 mars 2024, Catherine Vautrin, la ministre du travail, et Sarah El Haïry, la ministre déléguée chargée de l’enfance, ont annoncé que la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), prendrait en charge 66% d’une augmentation salariale moyenne de 150 euros nets mensuels, pour les crèches privées associatives ou marchandes financées par la Prestation de service unique (PSU). 

Pour les agents territoriaux, la prise en charge se fera dans la limite d’une augmentation de salaire de 100 euros nets mensuel. « Les fonctionnaires ont récemment été revalorisés de 50 euros via le point d’indice. D’où ce plafond de 100 euros d’augmentation, qui seront versés via une augmentation du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (Rifseep) », détaille Elisabeth Laithier, présidente du comité de filière petite enfance.

Au total, la Cnaf a budgété 640 millions d’euros d’ici 2027 pour ces revalorisations, soit l’équivalent d’un 13ème mois pour les bas-salaires.

Manque d’attractivité

Le secteur souffre en effet d’un manque d’attractivité qui entraîne des difficultés de recrutement. En juillet 2022, d’après la Cnaf, plus de 9 500 places de crèche étaient durablement fermées ou inoccupées à cause de ces difficultés.

En juin 2023, au moment de la signature de la Convention d’objectifs et de gestion (COG) 2023-2027, Jean-Christophe Combe, alors ministre des Solidarités, annonçait une provision de 200 millions d’euros par an pour soutenir les employeurs dans leurs efforts. Mais deux ministres plus tard, les professionnels du secteur ne savaient toujours pas quelle serait précisément la compensation de l’Etat, alors que certains avaient déjà octroyé des augmentations de salaires en janvier 2024.

Dès le départ, le ministère a imposé des contreparties pour l’obtention de cette aide (1). « Il s’agit d’harmoniser les droits sociaux des professionnels de la petite enfance, éclatés entre neuf branches professionnelles différentes, pour aboutir à un socle social commun », décrypte Elisabeth Laithier. A ce jour, seule la branche des acteurs du lien social et familial (Alisfa), qui dépend de la convention collective nationale du même nom (2), respecte les critères pour obtenir l’aide du gouvernement.

« Si tout s’était passé correctement, le dispositif de compensation de l’Etat aurait pu démarrer en novembre 2023. On avait toutes les indications, les critères étaient connus depuis 18 mois. Avec toute la difficulté de faire voter le service public de la petite enfance, Aurore Bergé, alors ministre des Solidarités et des familles, a été affaiblie. Les arbitrages à Matignon ont donc été plus complexes. Le changement de ministre n’a rien arrangé », analyse Philippe Dupuy, directeur de l’Association des collectifs enfants parents professionnels (Acepp), qui dépend de la convention collective nationale Alisfa. 

Les crèches associatives comptent sur les communes

Or les associations ne sont pas en mesure d’absorber les 33% d’augmentation qui ne seront pas pris en charge par l’Etat. Elles comptent sur les communes. « La branche Alisfa a fait le pari d’augmenter les salaires avant de connaître le montant de compensation de l’Etat. Notre feuille de route, était d’augmenter la masse salariale de 8 à 10%. Il fallait que les partenaires financeurs l’entendent, insiste Philippe Dupuy. On a mis en place une contrainte, pour les obliger à se poser la question de la rémunération des bas salaires. C’est une façon active de faire bouger les lignes. Si certaines communes acceptent, d’autres refusent, mettant en difficulté le modèle économique de la crèche », s’inquiète Philippe Dupuy qui prédit un rapport de force entre les communes et les Caisses des allocations familiales (CAF).

Les communes « étranglées »

De fait, l’Association des maires de France (AMF) ne cache pas son inquiétude. « Nous ne savons pas comment nous allons pouvoir abonder cette charge supplémentaire ! Certaines communes vont rencontrer des difficultés » admet Clotilde Robin, présidente du groupe de travail petite enfance, adjointe au maire de Roanne.

L’AMF, comme les autres acteurs du secteur, appelle l’Etat et la Cnaf à compenser entièrement l’augmentation salariale. « Avec le Service public de la petite enfance, les communes de plus de 10 000 habitants, vont devoir mettre en place un Relai petite enfance dès 2025. Elles seront complétement étranglées ! » prédit l’édile, qui préfèrerait que l’Etat aide déjà à financer les places existantes, plutôt que de soutenir financièrement la création de nouvelles places.

Et Clotilde Robin de citer sa collectivité en exemple. « Sur mon territoire, nous n’avons que des crèches associatives. C’est un budget colossal pour ma collectivité ! Il y a certes un besoin de revaloriser les salaires pour attirer de nouvelles personnes, mais l’État doit nous donner les moyens de le faire », plaide-t-elle. Tout en admettant que les « élus responsables » n’auront de toute façon pas le choix que d’abonder pour que la structure ne soit pas obligée de fermer des berceaux. « Face à une association qui me présente un budget déficitaire, je vais négocier auprès de l’exécutif pour remettre du budget », illustre-t-elle.

« Pour certaines crèches, l’augmentation salariale peut représenter 40 000 à 50 000 euros, témoigne Philippe Dupuy, car notre branche a fait le choix d’augmenter davantage les bas salaires que les hauts salaires, bien au-delà de 150 euros nets, qui reste une moyenne. »

Or les associations ont dû solliciter les communes, sans savoir à combien s’élèverait l’aide de l’État. « Evidemment, toutes les communes ont râlé ! » rapporte Philippe Dupuy. Maintenant que l’aide est connue – 970 euros par place – l’ACEPP va pouvoir continuer les négociations avec les collectivités. Mais Philippe Dupuy, constate, amer : « Cette augmentation, tout le monde la demande, mais personne ne veut payer ! » 

Coup de théâtre au CA de la Cnaf

Le coup de théâtre qui a eu lieu au dernier Conseil d’administration de la Cnaf semble lui donner raison. Annoncé le 5 mars, dans la foulée des annonces ministérielles, il a été annulé. Toutes les organisations patronales, accompagnées de l’Unaf et de la CFE-CGC n’ont ni étudié ni voté le texte qui permettait d’instaurer le « bonus attractivité ». Le motif officiel invoqué : le sujet n’était pas passé en commission d’action sociale, et ne pouvait donc pas être voté au CA.

Elisabeth Laithier ne cache pas sa colère. « Qu’on ne soit pas d’accord avec le texte présenté, pourquoi pas ? Mais que l’on refuse de l’étudier et de s’exprimer dessus me parait totalement fou. Cela fait 2 ans que nous y travaillons, que les conditions de revalorisation sont connues ! Nous prenons un mois de retard, alors que des gestionnaires associatifs ont accordé l’augmentation en janvier ! Quant aux communes, comme il faut que l’augmentation soit entérinée par un vote au conseil municipal, je ne sais pas du tout si cela sera prêt en juin. L’ordre du jour ne se prépare pas en 24 heures ! C’est très irrespectueux pour les professionnels qui attendent ces revalorisations depuis le covid ! »

Philippe Dupuis y voit l’opposition de la Fédération des entreprises de crèches (FFEC). « Elle voulait que nous partagions l’aide de l’Etat sans contrepartie ! » De plus, les crèches financées par la PAJE étant exclues du bonus, cela ne fait qu’exacerber sa désapprobation, les crèches Paje représentant plus de la moitié des places gérées par le secteur marchand.

Le prochain CA de la Cnaf doit se réunir le 2 avril 2024. « On n’imagine pas qu’il rejette ce bonus », veut croire Philippe Dupuy.

Notes
Note 01 Un document d’engagement a été signé en juin 2023 dans le cadre du comité de filière. Les partenaires sociaux s’y engagent à identifier les emplois repères de la petite enfance et à conclure un accord permettant de mettre en œuvre les revalorisations salariales. Au 31 décembre 2027, les branches doivent avoir atteint les salaires d’entrée de grille de la convention collective la mieux disante, sachant qu’un mécanisme de non-tassement des salaires doit avoir au préalable été défini pour le 31 décembre 2024, « pour éviter une concentration des salaires au niveau du smic, et permettre une dynamique globale de revalorisation salariale », explique Elisabeth Laithier.  
Note 02 qui compte 1839 établissements d’accueil du jeune enfant  

12 mars 2024

La Gazette des Communes