Sécurité : les policiers municipaux sur tous les fronts
Rédigé le 21/06/2021
« Police secours », respect des mesures anti-Covid, surveillance « attentat »… Le soutien des polices municipales est de plus en plus demandé par l’Etat, qui voit en elles la troisième force de sécurité intérieure. Si certains l’interprètent comme une forme de reconnaissance, d’aucuns redoutent un virage sécuritaire et, in fine, la perte de leur identité.
Alors que la sécurité publique s’est imposée ces vingt dernières années comme un enjeu majeur pour la population et les élus, les polices municipales poursuivent sans relâche leur essor. Sur le plan quantitatif, tout d’abord : de 18 000 agents en 2010, on en totalise aujourd’hui 24 000, soit un tiers de plus. Et les recrutements, motivés par les carences de l’Etat, restent élevés.
Ce développement est également visible dans les équipements, avec la quasi-généralisation des armes à feu, et les compétences octroyées aux agents, qui ne cessent de s’accroître au gré des textes législatif. Sur le terrain, plus personne ne s’étonne de la présence des « PM » dans bon nombre de missions jusque-là dévolues à leurs homologues nationaux. C’est d’ailleurs l’un des principaux enseignements du rapport de la Cour des comptes, paru en octobre, sur l’évolution des polices municipales.
Un métier en pleine mutation
Qu’il s’agisse d’impératifs de lutte contre la délinquance, de la prise en compte de la menace terroriste depuis 2015 ou de l’appui apporté aux missions de maintien de l’ordre, comme ce fut le cas au cours de la crise des « gilets jaunes », les policiers municipaux ont vu leurs missions se durcir. Au détriment de la proximité, de la prévention et du contact avec la population. A cet effet, la récente censure par le Conseil constitutionnel de la loi « sécurité globale », promulguée le 25 mai, et notamment de l’expérimentation qui était destinée à élargir leurs missions et leur capacité d’agir, sous couvert du fameux « continuum de sécurité », n’y changera sans doute rien. Au demeurant, cette « inflexion sécuritaire », comme l’observe la sociologue Virginie Malochet, n’est pas sans risque pour les policiers municipaux, qui pourraient bien y perdre leur âme. Qu’en pensent les principaux intéressés ? Comment vivent-ils cette évolution du métier ? La Gazette est allée à la rencontre des policiers municipaux d’aujourd’hui.
Ce jeudi 29 octobre 2020, Brahim Aouissaoui, un ressortissant tunisien de 22 ans, pénètre dans la basilique Notre-Dame de Nice (342 500 hab.), et tue trois personnes à coups de couteau. Alertée par une borne de sécurité d’urgence, la police municipale, très vite sur place, maîtrise l’auteur présumé de l’attaque terroriste. En plein débat sur l’extension des prérogatives des policiers municipaux, l’événement marque les esprits et confirme le rôle de primo-intervenants des PM. Un an et demi plus tard, Christian Estrosi, le maire (ex-LR) de la cité azuréenne fanfaronne.
Partenaire incontournable
Celui qui se présente comme le patron de « la meilleure police de France » se félicite de la place de « troisième force de sécurité conquise à Nice pour l’ensemble des polices municipales de France ». Dans son futur hôtel des polices, symbole du rapprochement des forces nationales et municipales, il déroule fièrement le bilan 2020 de ses 550 agents et vante leurs 5 700 interpellations pour crimes, délits et lutte contre la drogue, mais aussi la forte progression des infractions à la législation sur les étrangers ou encore sur la détention et le port d’armes. Vingt-deux ans après la loi du 15 avril 1999 relative aux PM, le vocable n’a rien à envier à celui de la police nationale.
Si cette ville demeure une exception – la vitrine d’une police XXL dotée des meilleurs équipements et résolument tournée vers l’intervention , force est de constater que les missions, historiquement dévolues à la prévention et à la proximité, évoluent. « Nous restons une police préventive, mais nous pouvons, à tout moment, comme l’a montré l’attentat de Nice, basculer dans une police d’intervention », constate Francis Picco, le chef de la PM de Biscarrosse (14 300 hab., Landes), bientôt dotée d’armes à feu. Au fil des ans, ce policier, dans le métier depuis 1985, a vu ses missions s’étendre : « L’explosion démographique, l’arrivée de nouvelles populations dans des zones rurales, l’évolution de la délinquance, nos collègues de la nationale submergés… Aujourd’hui, nous sommes les premiers policiers sur le terrain. La police de sécurité du quotidien, la proximité, c’est nous ! Nous sommes un partenaire incontournable des forces de sécurité nationale. »
Accidents de la route, tapages, différends… La PM est de plus en plus souvent « police secours ». A Loudéac (9 600 hab., Côtes-d’Armor), les cinq agents de la police municipale, tous armés, suppléent régulièrement les gendarmes. « Quand un habitant compose le 17 pour un accident, une bagarre, etc., et que la patrouille de gendarmerie est à 50 kilomètres, le centre opérationnel nous bascule les appels. Les habitants ont aussi pris l’habitude de nous contacter directement. Dans les faits, police secours, c’est souvent nous ! confirme Patrice Debois, patron, pendant vingt-deux ans, de la PM, qu’il vient de quitter. On est de plus en plus happé par la gestion de l’événement, pour gérer la petite délinquance ou répondre aux sollicitations de l’Etat. »
Relais sur les « gilets jaunes »
La surveillance « attentat » mais aussi les protestations des « gilets jaunes » n’ont fait qu’accroître encore les missions des PM. A Loudéac, les agents ont été particulièrement mobilisés par celles-ci. « Le mouvement était anarchiste, pas du tout structuré. Notre connaissance du terrain et notre proximité avec les administrés se sont révélées très utiles. Nous sommes allés sur les ronds-points discuter avec les manifestants pour les aider à s’organiser, à ne pas se mettre en danger ou à mettre en danger autrui. » A Valenciennes (43 300 hab., Nord), la PM a aussi été très sollicitée par l’Etat ces deux dernières années. « La police nationale a dû renforcer la surveillance attentat à la frontière belge, tout en assurant le maintien de l’ordre sur les manifestations des gilets jaunes. Pour eux, on a donc dû prendre le relais, en deuxième ou troisième rideau, sur le volet circulation notamment », raconte Stéphane Latawiec, le chef de la police municipale. Pour la première fois de son histoire, celle-ci a aussi déployé des effectifs pour sécuriser églises, mosquées, synagogues et autres sites sensibles.
« C’est pire depuis la crise ! »
La crise sanitaire du Covid-19 a encore fait bouger les lignes. Dès le 24 mars 2020, le projet de loi « Covid-19 » a autorisé les policiers municipaux à constater et à verbaliser les infractions aux mesures de confinement, les propulsant aux avant-postes de la lutte contre la pandémie. « Depuis un an et demi, les 41 agents, dont douze gardes champêtres, de notre police municipale intercommunale sont en première ligne pour faire respecter le port du masque, le couvre-feu, etc. » souligne Virginie Carolo-Lutrot, présidente (SE) de Caux Seine agglo (50 communes, 77 100 hab., Seine-Maritime).
La crise a renforcé certaines formes de délinquance, comme les violences intrafamiliales, les problèmes de voisinage, le harcèlement sur les réseaux sociaux, « ce qui a engendré un surcroît d’interventions, mais aussi d’actions de prévention ». Pas question, en effet, de parler de « police bis ». « Notre champ de compétences s’élargit, mais notre doctrine d’emploi reste la proximité, martèle Steeve Richard, le patron de la police municipale intercommunale. Nous faisons du lien social et nous appliquons les pouvoirs de police du maire. » Il n’empêche. Sur certains territoires, l’équation proximité-prévention-intervention relève parfois du numéro d’équilibriste. « Intervention et proximité, ça devient le grand écart, reconnaît Stéphane Latawiec. Comme ce fut le cas pour la gendarmerie et la police, nous sommes entrés dans l’œil du cyclone. A nous d’être vigilants pour ne pas y perdre notre âme. »
A Cenon, banlieue de la métropole bordelaise (24 500 hab., Gironde), Jean-Michel Loubaney, le chef de pôle « tranquillité publique et police municipale », ne s’en cache pas : « Sur le papier, notre objectif est de maintenir le lien avec la population. Mais la police nationale manque de moyens, la délinquance explose, et c’est pire depuis la crise ! Certains quartiers sont des zones de quasi – non-droit, où même la police municipale ne peut plus travailler. Ou alors avec le renfort de la police nationale. Dans ces conditions, la proximité, c’est tôt le matin, et pas partout. »
Une palette complète
Pour garder le lien avec la population tout en répondant aux demandes de sécurité, des territoires créent des brigades de nuit municipales, des polices intercommunales, etc. « Il faut une palette complète pour pouvoir agir sur différents pans : le lien social, le recueil d’informations, police secours, les interventions et le judiciaire. Nous devons être capables d’aller sur des missions de forces de sécurité nationale, sans perdre notre identité », estime Nicolas Galdeano, le directeur de la PM de Tours (136 500 hab.), pour laquelle travaillent 95 agents et qui compte des unités dédiées à la proximité et des unités d’intervention de nuit.
En élargissant sans cesse les pouvoirs de la PM, ne risque-t-on pas, à terme, de rompre cet équilibre fragile ? Eric Piolle, le maire (EELV) de Grenoble (160 200 hab.), a décidé d’en finir avec ce que les Verts nomment « la militarisation des polices municipales ». A l’opposé du modèle niçois et du fameux « continuum de sécurité » qui entend renforcer la coopération policière, il s’apprête à mettre en œuvre une police préventive, démocratique et partenariale. Un antidote au risque de virage sécuritaire ?
FOCUS
Ce qu’ils en pensent...
« La visibilité et le lien avec les habitants, nos priorités » Stéphane Escames, chef de service de la PM de Billère (13 100 hab., Pyrénées-Atlantiques)
« Notre mission première, c’est le terrain, les patrouilles. J’ai une devise : si une canette est par terre, on doit savoir qui l’a jetée. La proximité, c’est tous les jours. Pour ce faire, nous travaillons en synergie avec la police nationale, mais aussi avec les habitants, à travers le réseau Voisins vigilants. Au fil des ans, la délinquance a évolué, nous obligeant à nous armer pour nous protéger et protéger les habitants. La crise sanitaire et la surveillance attentat sont devenues très prégnantes.
Mais nous ne devons pas perdre de vue nos priorités : la visibilité sur le terrain et le lien privilégié avec les habitants. C’est cette proximité qui permet le recueil d’informations et, in fine, leur partage avec nos partenaires. Je ne suis pas hostile à plus d’autonomie de la PM, mais, attention à ne pas être submergés par les procédures. Nous risquerions d’y perdre notre raison d’être. »
«La police intercommunale de nuit vient en renfort » Michel Ajavon, directeur de la PM intercommunale de la CA val Parisis
« La doctrine d’emploi de notre police intercommunale, c’est une police d’intervention. La plupart des infractions sont commises la nuit et en soirée. L’Etat, seul, ne peut pas assurer la sécurité des citoyens, et les PM n’en ont pas non plus les moyens. Notre police, qui intervient de 18 heures à 4 heures du matin, vient en renfort des polices municipales qui, elles, se concentrent plus sur des missions de proximité. Nous sommes 28 agents, avec un objectif de 40 en 2025. Nous sommes armés. Et nous intervenons. Nous ne nous substituons pas aux forces de police de l’Etat, nous venons en complément. Nous n’outrepassons pas nos missions d’agents de police municipale : nous constatons, si besoin nous interpellons, et nous remettons à l’officier de police judiciaire de la police ou de la gendarmerie nationale. »
« Etre armés pour protéger et nous protéger » Eve Lamarche, directrice de la PM d’Arras (40 700 hab., Pas-de-Calais)
« Notre PM est à un tournant. Actuellement, les 20 agents travaillent par secteurs, en journée, dans une très forte logique de proximité et des objectifs de tranquillité et de salubrité publiques, d’un meilleur vivre-ensemble. Cela sera toujours vrai demain. Mais nous allons étendre ce service public avec la création, d’ici à fin décembre, d’une brigade de nuit dotée de sept agents, présente en soirée et jusqu’à 2 ou 3 heures du matin. Tous les policiers seront armés. Nous ne sommes pas dans une logique d’intervention tous azimuts, notre priorité reste la proximité. Mais la police de proximité, ce n’est pas, contrairement à une idée reçue, déployer des hommes à pied ou à VTT, c’est être en capacité de répondre à des problèmes de tranquillité publique. Et donc être polyvalents : patrouiller, établir du lien, prévenir, intervenir si besoin… Et être armés pour protéger la population et être protégés. »
FOCUS
La grogne monte et la rentrée sociale sera « agitée »
Amélioration du déroulement de carrière, revalorisation des salaires, retraites… Voilà plusieurs années que les syndicats réclament des évolutions sociales en contrepartie de l’évolution de leurs missions. Une grogne ravivée par les débats parlementaires autour de la loi « sécurité globale », qui prévoyaient de nouvelles compétences pour les agents, mesure finalement retoquée par le Conseil constitutionnel. « Nos missions ne cessent, depuis des années, de s’étendre. Mais qui dit “nouvelles missions”, dit “reconnaissance financière et statutaire”. Or, il n’y a rien », tance Serge Haure, référent « PM » à la CFDT. « On attend à chaque fois des contreparties. Il n’y en a aucune », renchérit Manuel Herrero, de l’Unsa-Territoriaux. Colère aussi de Fabien Golfier, de FA-FPT : « L’Etat se décharge sur nous mais ne nous accorde aucune contrepartie sociale. » Tout aussi furieux, Christophe Léveillé, secrétaire national FO PM, réclame « l’ouverture d’un dialogue social » et promet « une rentrée sociale agitée ».
Source La Gazette