Les sapeurs-pompiers peuvent désormais réaliser de nouveaux actes médicaux

Rédigé le 28/04/2022

Mise en œuvre de soins d’urgence par les sapeurs-pompiers, réorganisation de la garde ambulancière pour limiter les carences, plusieurs décrets qui concernent l’aide médicale urgente, ont été publiés ces derniers jours.

Pour Norbert Berginiat, médecin chef du Sdis de la Manche, vice président de la Fédération Nationale des Sapeurs Pompiers de France en charge des soins et secours d’urgence aux personnes, certaines mesures prévues représentent une évolution majeure.

Désormais les sapeurs-pompiers (SP) secouristes vont-ils pouvoir pratiquer des soins ?

Ce n’est pas nouveau. Depuis les années 2000, ils sont habilités à réaliser la défibrillation semi-automatique en cas d’arrêt cardiaque. Petit à petit, ils se sont aussi mis à réaliser des actes de diagnostic comme la prise de tension ou de la température, qui ne mettent pas en danger la santé des victimes. La loi Matras a officialisé ces pratiques. 80 % des Services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) les mettent déjà en oeuvre, révèle un sondage que nous avons réalisé au mois de janvier. Il ne s’agit pas d’une révolution, mais plutôt d’une évolution.

Quels sont ces actes diagnostic que les sapeurs-pompiers sont désormais habilités à pratiquer sans un avis médical ?

Le code de santé publique mentionne la prise de température, du pouls et de la tension artérielle, la lecture de la glycémie (taux de sucre dans le sang). Il est prévu également l’évaluation du score de gravité lors des comas ou des accouchements prématurés, l’évaluation de la douleur et enfin le recueil du taux de saturation en oxygène ou en monoxyde de carbone.

La loi Matras prévoit-elle des actes diagnostic nouveaux ?

Oui. Il s’agit d’actes que les sapeurs-pompiers devront réaliser après un avis médical. Il s’agit par exemple de l’électro-cardiogramme, en cas de douleur thoracique, pour détecter éventuellement un infarctus du myocarde. L’examen sera lu par le médecin qui l’aura demandé. Il s’agit d’un acte de télémédecine comme cela se fait déjà avec les infirmiers SP sous protocole. Ce diagnostic précoce représente un plus pour les victimes.

Les sapeurs-pompiers pourront-ils administrer des médicaments  ?

Oui. Le décret va un peu plus loin en prévoyant la mise en place de certains traitements, sur prescription médicale. Les SP sont désormais habilités à diminuer la douleur par l’administration de protoxyde d’azote, par exemple. Grace à ces soins d’urgence on pourra même sauver des vies en cas de choc allergique après une piqûre de guêpe par exemple. Dans ce cas, il faut injecter très rapidement de l’adrénaline, sinon la personne décède. Les pompiers pourront le faire après en avoir reconnu les signes et avoir passé le bilan au médecin. Ils pourront aussi traiter les crises d’asthme sévères. Il s’agit de vraies évolutions.

Ces nouvelles missions ne vont-elles pas se superposer à celles déjà exercées par les infirmiers sapeurs-pompiers ?

Non car il s’agit d’être complémentaires. Parce qu’au fin fond de certaines campagnes, on n’a pas immédiatement un infirmier et encore moins un médecin sous la main pour prendre en charge les victimes. Le maillage fin des casernes garantit une certaine équité entre  les territoires et une continuité dans l’apport rapide des soins. Reprenons l’exemple du choc allergique. Si un SP peut être sur place en 10 minutes et injecter l’adrénaline, c’est gagné. L’infirmier qui viendra de plus loin, arrivera trop tard.

Les sapeurs-pompiers ont parfois du mal à joindre la régulation du Samu. Est-ce que cela ne risque pas de poser problème, s’ils doivent administrer un médicament en urgence ?

Si. C’est la raison pour laquelle la Fédération s’est battue pour que les actes qui relèvent d’un avis médical puissent être prescrits soit par le médecin régulateur, soit par un médecin sur place, soit par un médecin sapeur-pompier au téléphone, quand c’est organisé et vu avec le Samu local.

Qui va former les SP pompiers à pratiquer ces actes de soins ?

Les professionnels de santé des services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), médecins, pharmaciens, infirmiers qui ont déjà prouvé leur capacité à assurer cette mission notamment lors de la pandémie. Ils ont formé rapidement leurs agents à la vaccination, ce qui a permis d’immuniser 25 % de la population. Il ne faut pas l’oublier. Un arrêté émanant du ministère de l’intérieur et de la direction générale de la sécurité civile, sur les référentiels de formation, va être publié prochainement.

Un autre décret publié le 24 avril, réforme les transports sanitaires urgents par les ambulanciers privés et leur participation à la garde. Vous l’attendiez depuis longtemps ?

Oui. Car notre cadre d’intervention se sont les urgences vitales. Les transports sanitaires de patients vers l’hôpital qui ne relève pas de l’urgence, c’est la mission des ambulanciers privés. Toutefois depuis les années 2000, leurs quotas par département est fixé par les Agences régionales de santé (ARS)  et n’a pas bougé malgré le vieillissement de la population et son accroissement. Résultat : ils ne peuvent pas assurer tous les transports sanitaires. D’autant qu’ils privilégient les transports pour des soins programmés. Le Samu, sollicite alors les pompiers. C’est ce que l’on appelle les carences ambulancières pour lesquelles les Sdis sont indemnisés mais pas à la hauteur de leurs charges.

Un arrêté publié le 30 mars dernier revalorise leur tarif à 200 euros pour 2022. Ce n’est pas une bonne nouvelle ?

C’est une augmentation substantielle qui fait suite à la promesse du président de la République lors de notre congrès national à Marseille en octobre 2021. Mais cela ne couvre pas tous nos frais. Et ce n’est pas tout, les SP qui sont mobilisés sur ces transports ne sont pas disponibles en cas d’urgence vitale ou d’incendie. Enfin, cela représente une perte de sens pour les SP volontaires et leurs employeurs, qui représentent 80 % des effectifs. Ils sont d’accord pour quitter leurs postes pour intervenir sur un arrêt cardiaque mais de moins en moins pour assurer une carence.

Que change ce décret ?

Il réforme les gardes ambulancières privées qui jusqu’alors n’étaient imposées que la nuit. Il est prévu que des gardes rémunérées soient aussi organisées la journée, où les besoins de transports sanitaires se font davantage sentir. On espère ainsi qu’il y aura beaucoup moins de carences.

Ce décret prévoit une redéfinition des secteurs de garde. Ne craignez-vous pas que les territoires ruraux soient pénalisés ?

C’est un risque en effet. Il faudra que les préfets soient très vigilants sur l’organisation de la garde ambulancière, sinon ce décret ne servira à rien. S’il y a des ambulances en plus ce n’est pas pour siphonner les missions des sapeurs-pompiers dans les grandes villes où il est rentable de faire des transports sanitaires urgents au détriment des territoires ruraux. Dans la Manche par exemple, nous serons très vigilants à ce qu’ils ne positionnent pas deux ambulances de garde à Cherbourg et pas du tout sur le sud du département où il y en a besoin aussi.

27 avril 2022
La Gazette des Communes