Retraites : la clé de leur financement, c’est l’emploi et les salaires

16 août 2023

Le financement des retraites est au bord du gouffre clame l’exécutif.

Or, ses assertions tentant de légitimer l’urgence à agir, en imposant aux travailleurs une réforme injuste et brutale, sont battues en brèche par nombre d’économistes et de spécialistes de la protection sociale. Quant au projet, il ne dit mot des paramètres au cœur du financement des retraites : l’emploi et les salaires.

Or, explique FO de longue date, développer l’emploi, pérenne, et augmenter les salaires permettrait d’apporter des recettes supplémentaires au système de retraite. Mais les délocalisations se poursuivent, y compris par les entreprises ayant bénéficié d’aides publiques et sans contreparties. Le recours massif aux contrats précaires se poursuit aussi. Le patronat ne lâche que des hausses salariales limitées. Les entreprises se séparent toujours autant de leurs salariés seniors.

Se perpétue plus que jamais la politique d’exonérations au nom de la baisse du coût du travail... Sciemment, le projet, qui ne sollicite aucunement les entreprises, ne remet pas en cause ces dérives qui cependant privent de recettes les comptes sociaux, le système de retraite notamment. Tour d’horizon.

Augmenter les salaires : une solution autant qu’une nécessité

P our assurer le financement du système des retraites, et de meilleures pensions, l’une des premières solutions réside dans la hausse du niveau des salaires. Mécaniquement, cela augmenterait les cotisations sociales, soit la part du salaire versée directement par l’employeur aux caisses de Sécurité sociale pour financer la protection sociale et ses diverses prestations, dont les pensions de retraite. Sauf que – et FO le dénonce de longue date – une tendance inverse est à l’œuvre, qui freine les augmentations salariales. Elle est portée par le développement en entreprise de mécanismes d’intéressement exonérés de cotisations sociales et/ou de primes annuelles désocialisées et défiscalisées. Lesquelles sont ancrées dans le paysage depuis 2019. Qu’on les appelle « prime exceptionnelle de pouvoir d’achat » ou, depuis juillet, « prime de partage de la valeur ». Dans une étude parue en 2020, l’Insee a pointé la minoration immédiate des hausses de salaire intervenues en 2019 et l’expliquait par le versement de cette prime. Les établissements auraient sans doute versé, sous une forme différente, au moins une partie du montant de cette prime en l’absence de cette mesure, constatait l’Insee.

Baisse de 2,2 % du SMB en 2022

Le retour de l’inflation, qui se maintient à un niveau très élevé, n’inverse pas cette tendance des employeurs à vouloir contenir les hausses de salaire. L’augmentation générale des prix des biens et des services contribue surtout à la hausse du Smic, révèle le service statistique du ministère du Travail dans une étude parue le 9 février. S’il constate effectivement en 2022 dans le secteur privé une progression du salaire mensuel de base (SMB) ou salaire brut (c’est-à-dire avant déduction des cotisations sociales), cette hausse des salaires ne compense pas celle des prix à la consommation. Loin s’en faut, et l’explosion depuis des mois des conflits salariaux en témoigne ! Lorsqu’elle est rapportée à l’inflation (+ 6 % en 2022), et calculée en euros constants, la hausse constatée du SMB sur l’année (+ 3,8 %) se transforme en une baisse de 2,2 %. C’est mathématique. Dans le détail, en 2022, le SMB a régressé de 1,4 % pour les ouvriers, de 1,7 % pour les employés, de 2,8 % pour les professions intermédiaires et de 3,1 % pour les cadres.

ELIE HIESSE

 

Développer l’emploi de qualité, moteur puissant pour les recettes

L a meilleure manière d’augmenter les recettes du système de retraite est de développer l’emploi pérenne (en CDI et à plein temps). Non seulement, pour les salariés, c’est la possibilité de progresser dans la carrière, donc de voir leur salaire croître, mais aussi, pour les comptes sociaux, c’est la solution pour être alimentés par un volume plus important de recettes, apportées par les cotisations. Or, pour l’instant, si le chômage (de catégorie A) est sur une phase descendante, reste le problème de la qualité des emplois.

Alerte sur les créations d’emplois

Sur les vingt dernières années, on a vu en effet se développer l’emploi en contrat court, et même très court. Alors que les contrats de moins d’un mois représentaient 57 % des CDD en 2001, en 2017 ils constituaient 83 % de cette catégorie. Et si ceux d’une seule journée représentaient 8 % des CDD en 2001, ils en représentaient 30 % en 2017. Le phénomène est bien sûr favorisé par l’exonération de cotisations sur les bas salaires pour les employeurs et la multiplication des recours au CDD d’usage depuis le début des années 2000. Et nombre de salariés enchaînent les contrats courts : parmi eux, 70 % travaillent auprès du même employeur trois mois plus tard. À noter que 17 % de ceux cantonnés dans des contrats courts vivent sous le seuil de pauvreté contre 15 % des salariés en CDD et 8 % des personnes en emploi stable.

Les calculs officiels sur le chômage laissent sur le côté quelque 2,4 millions de travailleurs subissant une activité réduite. Et cette précarité de l’emploi signifie de moindres cotisations, donc moins de recettes allant au système de protection sociale. De son côté, l’Insee vient d’alerter sur un coup d’arrêt dans les créations d’emplois fin 2022, après sept trimestres de hausse, et des déclarations d’embauche en baisse de 2,3 %. Ce qui pose la question de l’évolution de l’emploi en 2023. La création de France travail sera-t-elle en mesure de remédier à la situation ? Jusqu’à présent l’attention est portée sur le rapprochement des chômeurs de l’offre d’emploi, et non sur une amélioration de la qualité des offres. Est attendu également l’impact d’une mesure, entrée en vigueur en septembre 2022, celle du bonus-malus permettant de diminuer le taux de contribution à l’Assurance chômage des entreprises qui ont le moins recours aux contrats courts...

SANDRA DÉRAILLOT

 

Recul de l’âge de départ : impact coûteux pour les organismes sociaux

Chômage, minima sociaux, invalidité, arrêt maladie... Près d’un travailleur sur deux qui part à la retraite n’est déjà plus en emploi. Reporter de deux ans l’âge de départ ne ferait qu’amplifier ce phénomène et transférer une partie des dépenses de la branche vieillesse vers les caisses des organismes sociaux.

C’est ce que démontrent deux études commandées par le Comité d’orientation des retraites (COR) en janvier 2022. Un recul de l’âge de départ de 62 à 64 ans aurait ainsi entraîné en 2019 (données disponibles les plus récentes), selon une note de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), une augmentation de près de 3,6 milliards d’euros des dépenses de prestations sociales (pensions d’invalidité, minima sociaux, indemnités journalières de Sécurité sociale, rentes d’accidents du travail...). Et cela s’entend hors retraite et Assurance chômage. L’organisme anticipait notamment 160 000 nouveaux bénéficiaires de pensions d’invalidité, pour un montant de 1,8 milliard d’euros.

Augmentation du chômage

Quant à l’Assurance chômage, elle aurait dû faire face, toujours en 2019, à une hausse de 1,3 milliard d’euros des dépenses d’allocation de retour à l’emploi (ARE et AREF) pour 84 000 bénéficiaires supplémentaires, selon une note de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Et encore cette estimation est-elle sous-évaluée car elle repose sur un marché du travail stabilisé, sans tenir compte de potentiels effets à court terme de la réforme. Or une étude du Trésor de 2016 pointe, en cas de recul de l’âge de départ en retraite, le risque d’une augmentation du chômage à court-moyen terme du fait d’une augmentation plus rapide de la population active que de l’emploi.

Comme le rappelle le COR, la France possède le plus faible taux d’emploi des 60-64 ans des pays de l’OCDE, à 34,7 %. La Première ministre Élisabeth Borne avait, lors de la présentation du projet de réforme le 10 janvier, enjoint les entreprises à faire leur place aux personnes proches de la retraite et veiller à une meilleure qualité de vie au travail. Le seul outil prévu, la création d’un « index senior », qui mettait peu de pression sur les entreprises, a été rejeté par les députés le 14 février.

CLARISSE JOSSELIN

Ces exonérations qui font mal à notre Sécu

Le 21 février, Emmanuel Macron, en visite matinale à Rungis, déclarait vouloir un débat sur le travail. Cela sans évoquer une remise en question de la politique de baisse du coût du travail débutée, depuis les années 1990, par les mesures Balladur. Avant que beaucoup d’autres ne suivent (mesures Fillon, CICE...). Il existe aujourd’hui trente-cinq ou trente-six mécanismes différents d’exonération de cotisations de sécurité sociale, indiquait déjà le Sénat... il y a vingt ans. Or, cette baisse du coût du travail, recherchée par tous les exécutifs au nom du développement de l’emploi et de la compétitivité des entreprises, renvoie directement au financement de la protection sociale. À ses ressources. Et bien sûr à la participation des employeurs dans le cadre des revenus d’activité.

La part employeur de plus en plus faible

Dans son étude publiée en février 2022, la direction de la Sécurité sociale décrit la situation. Pour les salaires au Smic, la part des cotisations employeurs dans le coût du travail a ainsi fortement baissé, de 30 % en 1991 à 6 % en 2022. Et l’étude de souligner la forte baisse des cotisations employeur (- 77 points depuis 1991) sous l’effet des allégements successifs appliqués depuis 1993. De fait, le coût réel du travail au niveau du Smic a progressé de 6 points quand le Smic brut a crû de 41 points entre 1991 et 2022. Et encore, en 2022, le taux effectif de cotisation employeur s’établit à 6,9 %, dont 1,6 % sur le champ des prélèvements de sécurité sociale et 5,25 % sur les autres contributions. Et cette baisse de la part employeur se retrouve pour des salaires plus élevés. Ainsi pour « 1 PASS » (plafond annuel de la Sécurité sociale), le taux effectif de cotisation employeur au niveau du PASS s’établit à 23,1 % en 2022. En l’absence de taux réduits il aurait été de 30,9 %. Tout est dit. Il faut parvenir à 2PASS pour observer une hausse, légère, dans le temps de la part des cotisations employeur. Rien qu’en 2021, les allégements généraux de cotisations sociales patronales représentaient 51 milliards d’euros. Même avec une compensation partielle de l’État, pour la Sécurité sociale, le manque à gagner est énorme en termes de recettes. Et c’est sans compter les risques que représente la fiscalisation des ressources de la Sécu. Autant dire le risque d’étatisation.

Si les cotisations représentent encore 58 %, la CSG et d’autres impôts et taxes pèsent déjà au total 38 %. Cette évolution répond à la nécessité de ne pas faire peser le financement de la Sécurité sociale sur les seuls revenus d’activité, indique le gouvernement. Et le patronat, qui y participe de moins en moins, s’en trouve ravi. Mais pas les travailleurs, qui n’acceptent pas de payer la facture par une réduction de leurs droits via une réforme des retraites, cela en conséquence d’une politique qui impacte les comptes sociaux.

VALÉRIE FORGERONT

Délocalisations : la saignée d’emplois continue

À  rebours des grands discours du gouvernement sur la nécessaire réindustrialisation de la France, en l’absence de sanctions, les entreprises peuvent continuer à délocaliser leur production en toute impunité. Ainsi, l’équipementier aéronautique Latécoère a présenté fin janvier en CSE un plan de réorganisation qui prévoit que les machines de « l’usine du futur » de Toulouse-Montredon, inaugurée en grande pompe en 2018, seront expédiées au Mexique et en République tchèque. Le site de Labège sera fermé et une partie de sa production transférée en Tunisie. Une centaine d’emplois sont menacés.

Chez Schneider Electric, le syndicat FO, prenant appui sur une expertise commandée par le CSE central, dénonce la délocalisation programmée d’un million d’heures de travail vers l’Europe de l’Est d’ici à 2025. Il déplore le manque de transparence de la direction, qui ne présente pas les véritables orientations stratégiques du groupe en France. À l’appel de FO, un rassemblement était organisé le 16 février devant le siège de Rueil pour dénoncer une stratégie destructrice d’emplois et exiger des réponses de la direction.

2,2 millions d’emplois perdus en quarante ans

Ces nouvelles délocalisations sont inacceptables, surtout quand elles sont décidées au motif d’une nécessaire réduction des coûts imposée par les crises successives, dénonce la fédération FO Métaux à propos de Latécoère. Elle pointe aussi la responsabilité des pouvoirs publics dans ce domaine. Le Fabriqué en France et la réindustrialisation de notre pays ne sauraient être que des mots là où l’action est plus que primordiale, ajoute-t-elle.

FO revendique de longue date le conditionnement des aides publiques à l’arrêt des licenciements et au maintien des activités sous peine d’un remboursement de ces aides. Or Latécoère, rachetée en 2019 par un fonds américain, avait largement bénéficié d’aides publiques pour l’ouverture de l’usine de Montredon, notamment 5,4 millions d’euros de subventions de l’État.

Depuis 1980, les branches industrielles ont perdu près de la moitié de leurs effectifs, soit 2,2 millions d’emplois selon un rapport de France Stratégie de 2020.

Le secteur industriel ne contribuait plus, en 2021, qu’à 13,1 % du PIB de la France.

CLARISSE JOSSELIN

15 août 2023
Sandra Déraillot
Valérie Forgeront
Clarisse Josselin
Elie Hiesse
Journalistes à l’InFO militante