Il faudrait sauver le système des retraites au risque d’un drame très prochain clame l’exécutif s’entêtant à vanter les charmes de sa réforme qui serait « la seule » solution. Mais ce projet, qui fait fi de la question de l’emploi, est décrié de toute part et a déjà conduit à faire descendre dans la rue plus de deux millions de travailleurs le 19 janvier, à l’appel notamment de huit organisations syndicales.
Chiffres à l’appui, les spécialistes des retraites ne voient aucune urgence, aucun péril susceptibles d’expliquer cette réforme dont les modalités consistent en une attaque des droits tandis que les entreprises tirent, une fois de plus leur épingle du jeu.
Regard et mise en perspective des éléments budgétaires d’un projet dont FO demande le retrait
A en croire le tableau brossé par le gouvernement, le système des retraites serait en grand péril et il faudrait agir, vite. Cela même si certains prétendent que le déficit est négligeable glissait d’emblée le 10 janvier le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, présentant les éléments budgétaires de la réforme. Un message à peine voilé, adressé notamment aux organisations syndicales, dont FO, opposées à la réforme, et qui se réfèrent, entre autres, au dernier rapport du COR.
Dans celui-ci, publié en septembre, le Conseil d’orientation des retraites ne voit aucune urgence sur les retraites. Leurs dépenses ne dérapent pas a d’ailleurs répété le 19 janvier le président du COR, Jean-Louis Bras, devant la commission des finances de l’Assemblée. Le régime présente même un excédent (900 millions en 2021 et 3,2 milliards en 2022). Quant à un déficit à venir, le COR l’évalue autour de 10 à 12 milliards d’euros par an jusqu’en 2032. Dramatique ? Non. Pour rappel, en termes de dépenses, le système de retraite représente 340 milliards d’euros par an. Le PIB, soit la production nationale de richesse, se situe lui autour de 2500 milliards d’euros...
Le COR, qui a travaillé sur différents scenarios prenant en compte notamment la croissance de la productivité, estime encore que la part des dépenses pour les retraites dans le PIB serait stable jusqu’en 2027 (autour de 13,8 à 13,9%), puis augmenterait légèrement jusqu’en 2032 (entre 14,2% et 14,7%). Suivrait, jusqu’en 2070, une stabilisation, voire un recul (12,1% à 14,7%).
Mais, même contredit par nombre d’économistes, le gouvernement continue à convoquer un scenario catastrophe et use du même mantra : avec ce projet (de réforme, ndlr), l’équilibre du système sera atteint en 2030. Le 23 janvier, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, poursuivait la charge, affirmant que revenir sur le recul de deux ans de l’âge légal de départ, soit un départ à 64 ans, serait renoncer au retour à l’équilibre du système. Rien que ça.
Les mots durs du Haut Conseil des finances publiques
Mais alors que le gouvernement s’entête et vante les économies que porte sa réforme, le Haut conseil des finances publiques – pointant par ailleurs le caractère optimiste des prévisions du gouvernement quant aux indicateurs économiques, tel le 1% de croissance sur 2023 ou l’inflation à 4,2%- vient de souligner l’impact qu’aurait, rien que pour 2023, une entrée en vigueur de la réforme des retraites sur les comptes de la Sécurité sociale : un coût net de 400 millions d’euros. Pour les années suivantes, soit à moyen terme, le HCFP indique qu’il n’est pas en mesure d’évaluer l’incidence de la réforme, relevant le caractère incomplet des informations transmises par le gouvernement. Et de noter au passage que dès cette année, la mise en place de cette réforme, contestée par des syndicats, unanimes, contraindrait quelque 500 000 personnes à décaler leur départ à la retraite.
Sur-entêtement gouvernemental et chiffres clés
L’exécutif joue toutefois la surdité. Le dimanche 29 janvier, à trois jours d’une nouvelle journée nationale interprofessionnelle d’actions, le 31 janvier, à l’appel notamment des huit organisations de l’intersyndicale, dont FO bien sûr, et à quelques heures du début de l’examen du texte du projet en commission à l’Assemblée (avant l’ouverture des débats le 6 février en séance plénière), la Première ministre, Elisabeth Borne, a indiqué que le recul à 64 ans n’est plus négociable. Fermez le ban ?
Le gouvernement arbore, depuis le 10 janvier, les chiffres clés et la méthode, budgétaires, de son projet. Selon lui, qui a présenté depuis cette date une étude d’impact, la réforme apporte 17,7 milliards d’euros en 2030 (10,3 milliards d’euros en 2027) en termes d’économies brutes générées par les évolutions des conditions de départ en retraite. En clair, par l’attaque des droits, notamment le recul, de deux ans, de l’âge légal de départ et l’accélération du calendrier concernant l’allongement de la durée de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein (réforme Touraine de 2014).
Le déficit, estimé à 13,5 milliards d’euros en 2030, serait comblé et le surplus d’économies obtenues, 4,2 milliards d’euros, servirait à financer des mesures aux modalités dites de justice (sur les carrières longues, invalidité, hausse du minimum de pension, ...), pour un total de 5,9 milliards d’euros en 2030. Initialement le 10 janvier, avait été annoncé des mesures pour 4,8 milliards d’euros, mais depuis, le gouvernement a ajouté la mesure de revalorisation des minima de pension pour les retraités actuels, soit 1,1 milliard d’euros. A la présentation du projet, il manquait 600 millions pour financer ces mesures d’accompagnement de la réforme et d’amélioration du système de retraite, ainsi que l’avait indiqué Bruno Le Maire lors de la présentation du projet. Selon l’étude d’impact, on comprend qu’il manquerait désormais 1,7 milliard d’euros.
Discrets ou pas, les cadeaux aux entreprises
Le gouvernement qui pour résoudre l’équation affichait déjà sa solution le 10 janvier, l’a peaufinée depuis. L’équilibre financier de la réforme passera par de la solidarité entre branches, et notamment entre la branche AT-MP et la branche vieillesse, et entre régimes indiquait-il alors, présentant un mécanisme à l’allure de tour de passe-passe.
Le taux employeur pour les cotisations vieillesse serait ainsi relevé de 0,12 point..., tandis que le taux de cotisations AT-MP (branche alimentée par les employeurs, excédentaire de 1,3 milliards d’euros en 2021 et plus de deux milliards en 2022) serait baissé d’autant. Ce qui signifie un manque à gagner à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros en matière de moyens dédiés à la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles et leur réparation.
Par ailleurs, indépendamment de cette manœuvre sur les cotisations relevant du projet sur les retraites, les entreprises viennent de bénéficier fort discrètement d’un nouveau cadeau. Ainsi, pour celles d’au moins dix salariés, la mesure de majoration forfaitaire (décret du 14 mars 2017) -prévue en cas d’au moins un accident du travail ayant entraîné un arrêt constaté au cours de chacune des trois dernières années connues- a été reportée une nouvelle fois cette fois au 1er janvier 2024...
La CNRACL sollicitée
Le 25 janvier lors de son audition devant les parlementaires, à l’Assemblée et au Sénat, FO a remis les pendules à l’heure concernant les prétendues nécessités budgétaires de la réforme. Et d’indiquer à titre d’exemple : L’exposé des motifs du projet de loi de finances 2023 indique également que cette maitrise des dépenses permettra de poursuivre la stratégie de baisse des prélèvements, notamment par la suppression de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises). Il ne s’agit donc pas d’une réelle inquiétude quant à l’équilibre de notre système de retraites, ndlr, mais bien de prendre aux salariés pour redonner aux employeurs.
Plus largement, pour les entreprises, le tour de passe-passe sur les cotisations AT-MP et vieillesse serait à effet neutre. Pas question d’alourdir le coût du travail martèle le gouvernement. Mixées, ces deux mesures devraient apporter un milliard d’euros en 2030 pour le financement des mesures d’accompagnement. Il manquerait toujours 700 millions d’euros.
Pour les trouver, le gouvernement affiche encore sa solution : mettre à contribution la CNRACL (caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales), en boostant ses recettes, via une augmentation, d’un point, du taux de cotisation des employeurs publics territoriaux (quelque 43000) à ce régime de base créé en 1945..., et dont les comptes sont dans le rouge. Ce qui ne tient en rien du hasard. Outre sa participation au titre de la solidarité inter-régimes de retraite (au titre de la compensation démographique), la CNRACL a dû assumer jusqu’en 2012 un prélèvement supplémentaire dit de surcompensation (selon la loi de finances de 1986). Depuis 1976, elle a ainsi contribué au total pour plus de 80 milliards d’euros.
Pour FO, augmenter les recettes passe par une politique de l’emploi et l’augmentation des salaires
Au final, dans ce projet de réforme des retraites, le gouvernement ne dit mot sur les exonérations de cotisations sociales aux entreprises lesquelles induisent cependant chaque année un manque à gagner qui pour la Sécurité sociale se chiffre en milliards d’euros. Il ne dit mot non plus de la nécessité de développer l’emploi, pérenne, lequel apporterait cependant, par les cotisations, davantage de recettes aux caisses de retraite. Rien non plus sur la lutte contre les inégalités salariales.
Le 25 janvier, devant les parlementaires, la confédération l’a redit : S’il n’y a aucun problème de dépenses en matière de retraite, il est possible de discuter de leviers pour augmenter les recettes. Pour FO, cela passe par une politique de l’emploi, et notamment de l’emploi des séniors, très forte : cela permettrait d’augmenter automatiquement les cotisations.
29 janvier 2023
Valérie forgeront
Pour l’InFO militante