En quelque sorte des annonces avec tambour et trompette. Depuis quelques semaines, l’exécutif multiplie les déclarations sur ses projets, cherchant toujours à faire oublier la réforme des retraites. En vain...
Cela d’autant plus que l’exécutif lance des chantiers pour certains peu satisfaisants au niveau des moyens, pour d’autres carrément inquiétants quant à leurs visées. Point commun entre tous ? Ils sont parés du ton de l’austérité budgétaire.
Ainsi, tant sur le plan de l’accompagnement des demandeurs d’emploi qu’en matière de transition écologique de l’industrie, ou encore en ce qui concerne la lutte contre la fraude sociale… le credo de la baisse des dépenses publiques domine. Tout comme il a dominé le projet sur les retraites. L’exécutif, qui confirme l’objectif de réduction drastique des déficits publics d’ici 2027, le couple à la poursuite de la baisse de la fiscalité, particulièrement et encore celle des entreprises.
Ce paradoxe, toujours en vogue donc, conduit à réduire les moyens des services publics, situation dont le privé profite. Il conduit par exemple aussi à impacter la capacité d’investissement public, notamment pour le verdissement de l’économie, lequel nécessite aussi de protéger les emplois qui pourraient en être les victimes. Revue de détail de quelques projets et de leurs axes.
France Travail ou la déconstruction du service public de l’emploi
Le projet de loi Plein emploi, qui vise à réformer le service public de l’emploi, a été présenté en Conseil des ministres le 7 juin. L’objectif du gouvernement est d’atteindre 5 % de chômage en 2027, contre 7,1 % actuellement. Pour cela, les différents acteurs du service public de l’emploi seraient regroupés au sein du réseau France Travail, qui doit voir le jour d’ici 2025. Ce guichet unique serait ouvert aux demandeurs d’emploi et aux personnes en difficulté d’insertion, y compris en situation de handicap.
Quelle utilité ? Une fois la porte franchie, on retrouvera tous les interlocuteurs traditionnels du service public de l’emploi, Cap emploi, les missions locales ou Pôle emploi [NDLR : amené à devenir France Travail en 2024]. Et une coordination de tous ces acteurs existe déjà, souligne Michel Beaugas, secrétaire confédéral FO chargé de l’emploi.
Si aujourd’hui chacun de ces organismes est indépendant, demain la gouvernance du réseau France Travail sera verticale, et co-présidée par l’État et les collectivités territoriales, sur quatre niveaux : national, régional, départemental et local. Les interlocuteurs sociaux représentatifs et l’Unédic ont obtenu d’être membres du comité national, ce qui n’était pas le cas au départ.
Vote défavorable de FO
Les bénéficiaires du RSA, pour qui l’inscription à France Travail serait automatique, devront signer un contrat d’engagement assorti de quinze à vingt heures hebdomadaires d’activités obligatoires. Tout manquement entraînerait des sanctions pouvant aller jusqu’à la suppression de l’allocation. FO rejette formellement ce conditionnement du RSA.
Pôle emploi et les missions locales manquant de moyens pour accueillir ces nouveaux publics, l’accompagnement de ces derniers se ferait par des opérateurs privés, dont des agences d’intérim, qui seraient alors intégrés au réseau France Travail. Tout cela s’inscrit dans une logique d’économie budgétaire de personnel et fait encore un peu plus disparaître la notion de service public de l’emploi, dénonce Michel Beaugas. Pour FO, le suivi et le placement des privés d’emploi doit se faire exclusivement par des agents de Pôle emploi.
La confédération FO, opposée au principe de création de France Travail, a émis un vote défavorable au CA extraordinaire de Pôle emploi le 26 mai, rappelant qu’il s’agit d’une transformation inopportune et coûteuse de Pôle emploi en opérateur France Travail, inscrite dans la droite ligne d’une déconstruction du service public pour l’emploi national.
Pour Michel Beaugas, France Travail va engendrer une complexification et une territorialisation du service public de l’emploi, générant de nombreuses inégalités entre les demandeurs d’emploi. Ce n’est pas France Travail qui va régler le problème des emplois non pourvus, sauf par la contrainte, poursuit-il. La problématique est basée d’abord sur les salaires et les conditions de travail, puis les freins périphériques comme le logement ou la garde d’enfants.
Clarisse JOSSELIN
Journaliste à l’InFO militante
1er septembre 2023
Plan de lutte contre la fraude sociale : les plus modestes en ligne de mire
Dans son plan de lutte contre la fraude sociale annoncé le 29 mai, Gabriel Attal, le ministre délégué aux Comptes publics, promet d’accélérer le contrôle des entreprises adeptes du travail dissimulé. Ainsi dans le BTP ou le commerce. Les contrôles seront doublés, pour arriver à un niveau total de redressement de 5 milliards d’euros d’ici 2027. Plus tendancieux, Gabriel Attal veut aussi durcir le contrôle des allocataires de prestations sociales et il affiche un objectif de 3 milliards d’euros pour le préjudice à détecter et à éviter d’ici la fin du quinquennat. Tout confondu, la fraude sociale représenterait entre 6 et 8 milliards d’euros selon le rapport 2023 de la Cour des comptes sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale, paru en mai. Mais cette fraude provient surtout des employeurs. Le travail dissimulé induit un manque à gagner sur le plan des recettes (nées des cotisations) oscillant entre 5,7 milliards et 7,1 milliards d’euros, selon les estimations du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFIPS). Les fraudes aux prestations sociales (RSA, prime d’activité…) restent quant à elles minimes : sur 32,4 millions de contrôles réalisés en 2022, seulement quelque 48 692 cas de fraudes étaient avérés, pour un préjudice moyen de 7 217 euros, indique la CNAF. Elles sont encore plus infimes en matière de retraite – Bercy évalue le montant de cette fraude à 200 millions d’euros – ou de maladie (entre 3 % et 7 % des dépenses seraient visées). Pour FO, ce plan introduit un mélange des genres dangereux : Le gouvernement stigmatise les gens les plus fragiles qui perçoivent des prestations sociales, alors que cette fraude est minime. C’est la fraude aux cotisations sociales des entreprises qui est gigantesque. Et celles-ci bénéficient chaque année de 160 à 180 milliards d’euros en termes d’aides publiques et d’exonérations de cotisations, que l’État refuse de conditionner !, fustige Éric Gautron, secrétaire confédéral FO chargé de la protection sociale.
Dans les caisses, des effectifs toujours insuffisants
Pour ce plan, Gabriel Attal promet un millier de postes d’ici 2027 dans l’ensemble des caisses de Sécurité sociale, ainsi qu’un milliard d’euros d’investissement dans les systèmes d’information. Les effectifs de l’Urssaf seront renforcés de 60 %, soit 240 équivalents temps plein, a-t-il assuré le 30 mai au Parisien. La convention d’objectifs et de gestion 2023-2027 de l’Urssaf prévoit, elle, 100 postes en plus. Et 145 inspecteurs de recouvrement pour lutter contre le travail illégal. Un léger mieux pour FO, mais les moyens restent insuffisants, estime Éric Gautron. Du côté des caisses d’allocations familiales, qui comptent 700 contrôleurs et devraient recevoir 430 postes supplémentaires d’ici 2027, les moyens restent flous cependant. Gabriel Attal envisage par ailleurs une fusion entre la carte d’identité et la carte Vitale, pour lutter contre des fraudes d’identité dans le cadre des soins. Une mesure jugée inutile par l’Assurance maladie qui souligne des fraudes minimes à la carte Vitale, dans un rapport conjoint de l’IGAS et de l’IGF du 1er juin.
Ariane DUPRÉ
Journaliste à l’InFO militante
1er septembre 2023
Projet de loi industrie verte : derrière les effets d’annonce, un chiffrage flou
Cap sur la réindustrialisation décarbonée de la France ! Au lendemain d’une séquence très orchestrée vantant l’attractivité du pays (13 milliards d’euros de promesses d’investissements étrangers annoncés lors de l’événement Choose France), Bercy a dévoilé le 16 mai le projet de loi Industrie verte censé faire de la France le leader de l’industrie verte en Europe d’ici 2030, en facilitant les implantations d’usines (dans le photovoltaïque, l’éolien, les batteries, les pompes à chaleur) et en « verdissant » l’industrie existante. Les retombées attendues du texte – examiné le 19 juin au Sénat – sont très détaillées : d’ici sept ans, 23 milliards d’investissements, 4 000 emplois directs et une empreinte carbone réduite de 41 millions de tonnes.
Le financement renvoyé à l’automne
Au-delà de ces annonces, l’exécutif est moins précis. Il faudra attendre le projet de loi de finances 2024, à l’automne, pour savoir comment sera financé le crédit d’impôt Investissement Industries Vertes (C3iv), lequel couvrirait 20 % à 45 % des investissements des industriels. Le manque à gagner pour les finances publiques – estimé à 500 millions d’euros annuels – sera nul, assure l’exécutif qui prévoit, en compensation, un alourdissement du malus automobile, un verdissement des flottes d’entreprise et de raboter des niches fiscales défavorables à l’environnement. Évoqués : les avantages sur les carburants polluants des taxis, de l’aérien, du transport routier. Reste que le sujet est politiquement difficile – surtout quand les prix de l’énergie flambent – ni sans risque pour l’emploi. Et ce, alors que le C3iv n’apporte aucune garantie, n’étant conditionné à aucune contrepartie en matière d’emploi.
Pour le reste, l’exécutif table sur les prêts ou garanties BpiFrance (2,3 milliards par an pour décarboner les industries) et espère capter l’épargne des particuliers (5 milliards d’euros annuels). Une stratégie conforme à celle choisie pour financer la transition écologique : il n’y aura pas de recours à la fiscalité ou à la dette publique, a prévenu le 23 mai le ministre de l’Économie Bruno Le Maire. Comme il faut bien s’assurer des ressources, et ce dès 2024, l’exécutif va couper dans la dépense publique, contraignant tous les ministères à 5% d’économies...
Un effort formation insuffisant
Ultime motif de circonspection pour FO : les 700 millions d’euros annoncés pour les formations aux « métiers d’avenir », requalification des salariés comprise. C’est nettement insuffisant, appuie Hélène Fauvel, secrétaire confédérale à l’économie. Il faut rester réaliste sur la fragilité du tissu industriel existant, qui souffre de la crise énergétique et des transformations en cours (telles les fonderies dans l’automobile). L’indice de production manufacturière française est aujourd’hui légèrement inférieur à 2015, note l’Insee. Bien que le plan de relance et « France 2030 » soient passés par là.
Élie HIESSE
Journaliste à l’InFO militante
1er septembre 2023
Austérité budgétaire : la domination d’un credo truffé d’invraisemblances
La culture de la dette, c’est juste pour remettre de l’austérité, lançait le secrétaire général de FO, le 9 juin à Angers. Et Frédéric Souillot de pointer un paradoxe qui en dit long sur la posture adoptée par le gouvernement. Ainsi, par le retard de compensation apportée aux comptes sociaux du manque à gagner qu’induisent les exonérations sur les cotisations sociales, les intérêts de cette dette augmentent. Et l’État paye ainsi 9 millions d’euros d’intérêts chaque trimestre, s’indignait Frédéric Souillot, rappelant au passage que les aides publiques aux entreprises – accordées toujours sans aucune conditionnalité, notamment sur l’emploi et les salaires – représentent désormais 167 milliards d’euros par an. Si l’on veut trouver de l’argent, on en a là ! Mais ce n’est pas l’axe choisi. Le gouvernement a annoncé des réductions de dépenses significatives dès 2024, année a priori du retour de la règle fixant notamment un seuil de 3 % du PIB maximum aux déficits publics.
A venir : des mesures d’économies, pour plusieurs milliards d’euros
Le programme de stabilité 2023-2027 de la France prévoit, entre autres déjà, une réduction de 0,8 % par an en volume des dépenses de l’État. La part des dépenses publiques dans le PIB passerait de 56,9 % du PIB en 2023 à 54 % en 2027. L’objectif est la réduction d’ici 2027 du déficit public (à 2,7 % du PIB) et de la dette. Le gouvernement a lancé une revue des dépenses et organise le 19 juin des assises des finances publiques. Elles seront l’occasion d’identifier les premières mesures d’économies, pour plusieurs milliards d’euros, que nous mettrons en œuvre dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, précise le ministre de l’Économie. Parallèlement, le gouvernement a prévu une loi de programmation militaire (adoptée à l’Assemblée en première lecture le 7 juin) affichant une hausse des dépenses, à 413 milliards d’ici 2030...
L’exécutif poursuit aussi la baisse de la fiscalité, notamment celle des entreprises, quitte à amplifier le manque à gagner pour les comptes publics. Parmi les conséquences : des services publics aux moyens plombés ou encore des projets et réformes qui portent intrinsèquement des axes d’économies. Fin mai, l’économiste Jean Pisani-Ferry, évoquant dans un rapport le coût de la transformation écologique d’ici 2030 autour de 300 milliards d’euros, proposait, pour y faire face, d’introduire un prélèvement exceptionnel et temporaire sur le patrimoine financier des 10 % de ménages les plus riches. Proposition immédiatement balayée par le gouvernement. Le 6 juin, l’Institut des politiques publiques révélait dans une étude que plus on est riche, plus l’impôt devient dégressif. FO rappelle que la suppression de l’ISF, l’instauration du prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus financiers, la réforme de l’exit-tax en 2017, visant à alléger la taxation des plus-values latentes des chefs d’entreprise expatriés, ou encore la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés aggravent les inégalités existantes.
Valérie FORGERONT
Journaliste à l’InFO militante
1er septembre 2023