Service public de la petite enfance : « il reste encore beaucoup de zones d’ombre »

Rédigé le 17/04/2024

Le 4 avril 2024, Sarah El Haïry a réuni les associations d’élus locaux pour préparer le service public de la petite enfance. Une première réunion qui sera suivie de beaucoup d’autres tant les questionnements sont nombreux, témoignent l’AMF et France urbaine.

Le compte à rebours a commencé pour l’entrée en vigueur du service public de la petite enfance (SPPE) d’ici au 1er janvier 2025. Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles, a réuni les associations du bloc communal le 4 avril 2024 pour recueillir leurs questionnements. Il s’agissait pour elle de se glisser dans les pas de sa prédécesseuse, Aurore Bergé, et de continuer le travail partenarial avec les élus locaux.

Une méthode que l’Association des maires de France (AMF) et France urbaine ont particulièrement appréciée. « La ministre souhaite de nouveau organiser des groupes de travail », se félicite Clotilde Robin, adjointe au maire de Roanne, en charge de la petite enfance, et co-présidente de la commission petite enfance de l’AMF. « C’est très bien de nous solliciter, se réjouit de son côté Annick Bouquet, adjointe au maire de Versailles, co-présidente de la commission “Education, jeunesse et petite-enfance” de France urbaine, car nous voulons être rassurés sur ces nouvelles responsabilités qui comportent encore beaucoup de zones d’ombre. »

Relais petite enfance

De fait, la loi sur le Plein emploi, votée le 14 novembre 2023, a désigné les communes comme autorités organisatrices du service public de la petite enfance (1), et donne au maire un nouveau rôle de contrôle et d’encadrement des autorisations d’ouverture des établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE). L’avis préalable de l’autorité organisatrice sera désormais nécessaire avant toute demande « de création, d’extension ou de transformation d’un établissement ou d’un service de droit privé accueillant des enfants de moins de 6 ans ».  Une disposition qui inquiète.

Eviter l’accusation de clientélisme

« Nous allons être les premiers filtres. Il nous faudrait une meilleure articulation entre communes et intercommunalité, département et Caisse d’allocations familiales (CAF). Nous demandons une sorte de « boite à outils » pour porter les bons arguments en cas de refus auprès des porteurs de projets. Chaque territoire a ses spécificités. Nous ne voulons pas être accusés de clientélisme. » Pour Clotilde Robin, la frontière risque d’être ténue entre le rôle de l’autorité organisatrice qui peut ou non autoriser les ouvertures, et la protection maternelle et infantile (PMI). « Nous n’avons pas de précisions sur les critères à utiliser. Qui va les définir ? En fonction de quel diagnostic ? Nous demandons à avoir la plus grande liberté possible, mais pour l’instant on ne sait rien », explique Clotilde Robin. Les décrets d’application sur les autorisations d’attribution des places ne devraient être connus qu’en octobre 2024. « Beaucoup de maires sont bien loin de ces préoccupations, s’inquiète Annick Bouquet. Il va falloir organiser des réunions départementales d’information. Mais avant les JO, ils n’auront pas la tête à cela », convient-elle.

Simplifier l’accès à la fonction publique territoriale

Lors de cette réunion avec la ministre, il a été beaucoup question de la pénurie de professionnels de la petite enfance qui pèse sur la qualité de l’accueil. « On ne satisfait pas la demande des familles ! » regrette Annick Bouquet qui désapprouve que l’aide de l’Etat pour la revalorisation salariale des professionnels ne soit pas aussi importante pour les fonctionnaires territoriaux que pour les secteurs privés associatif et marchand. « Pour la fonction publique territoriale, elle n’est que de 100 euros par mois, contre 150 dans le privé ! On oublie que durant le covid, les crèches de nos villes ont toutes été ouvertes pour accueillir les enfants des métiers prioritaires, et n’ont jamais reçu la prime Ségur (2). Je crains que cela ne soit vécu comme une injustice. » La question du concours de la fonction publique territoriale a également été mentionnée. Pour Annick Bouquet, il s’agit d’un frein supplémentaire pour accéder aux métiers de la petite enfance. « Nous demandons une simplification pour faire face à l’urgence », indique-t-elle.

Compensation financière inconnue

Quant au financement, rien n’a encore filtré de la façon dont l’État compte compenser les collectivités pour ce nouveau service public. « N’y a-t-il pas un risque d’injonction contradictoire si le gouvernement contraignait nos dépenses tout en nous demandant d’engager ou de renforcer ce service public ? », s’interroge France urbaine. Or sans indication sur la compensation financière, comment se préparer ? « Certains territoires ne sont pas du tout organisés, ni pourvus de Relais petite enfance (RPE), prévient Clotilde Robin. Il va falloir tout construire de zéro ». Une gageure pour des territoires où le foncier est peu disponible. « Nous demandons que cette compensation soit directement versée aux autorités organisatrices, et pas aux Caf locales », insiste la représentante de l’AMF. Les élus devront attendre le mois de juillet 2024 pour connaître les décrets d’application concernant les RPE.

Rien n’est encore bien établi non plus sur la méthodologie d’élaboration du schéma pluriannuel de maintien et de développement de l’offre d’accueil du jeune enfant, déplorent les élus locaux. Les décrets d’application paraitront en juillet 2024 a annoncé Sarah El Haïry. « Nous avons demandé qu’ils ne soient pas plus restrictifs que la loi », témoigne Clotilde Robin qui s’inquiète des données disponibles pour les établir, entre celles qui proviennent de la Caf, de la PMI, ou des Comités départementaux des services aux familles, « selon les territoires, c’est très disparate », signale-t-elle.

Un rôle encore trop flou pour l’interco

Enfin, les interrogations demeurent sur le rôle de l’intercommunalité, lorsqu’elle assume la compétence petite enfance, alors que la loi ne leur a pas accordé le statut d’autorité organisatrice. « Une nébuleuse », pour Clotilde Robin : « on nous a beaucoup poussés à signer nos conventions territoriales globales (CTG) à l’échelle de l’intercommunalité. Nous n’allons tout de même pas mettre en oeuvre cette nouvelle compétence obligatoire commune par commune ! On marcherait sur la tête ! » Une question que l’AMF pose à chaque rencontre, mais à laquelle elle n’a toujours pas de réponse.

Note 01A compter du 1er janvier 2025, planifier le développement des modes d’accueil et soutenir leur qualité́ devient obligatoire pour les communes de plus de 3 500 habitants. Celles de plus de 10 000 habitants élaborent et déploient un schéma pluriannuel de maintien et de développement de l’offre d’accueil du jeune enfant, qui doit être cohérent avec le schéma départemental des services aux familles. Elles doivent également mettre en place un Relais petite enfance (RPE) à compter du 1er janvier 2026. 
Note 02Prime Ségur : le 18 février 2022, lors de la Conférence des métiers de l’accompagnement social et médico-social, le premier ministre Jean Castex annonçait qu’une prime dite « Ségur » de 183 euros nets mensuels seraient versées aux professionnels du secteur. Une revalorisation liée à la période post-covid, actant la reconnaissance des personnels intervenant auprès des personnes les plus vulnérables.

9 avril 2024

La Gazette des Communes