Elisabeth Borne a présenté, le 5 juin, une série de mesures pour relancer le marché du logement, en crise depuis plusieurs mois. Après des semaines d'attente, c'est la déception qui domine chez la majorité des acteurs.
Un « rendez-vous manqué », « la montagne accouche d’une souris », « tout un secteur méprisé »… La déception des acteurs publics et privés du logement est à la hauteur des attentes qu’a suscité le Conseil national de la refondation pour le logement, dont les conclusions ont été présentées le 5 juin, suivies d’une série d’annonces portées par la Première ministre pour relancer la machine. Ces conclusions avaient été repoussées une première fois pour, selon l’entourage ministériel, formuler des propositions plus adaptées à la crise que connaît le secteur depuis des mois. L’attente était donc d’autant plus forte.
Le ministre chargé du logement et de la ville, Olivier Klein, a ouvert la rencontre, martelant que « oui, le logement intéresse ce gouvernement », en réponse au reproche formulé par les professionnels d’une absence du sujet à l’agenda politique. « Il ne faut pas être conservateurs, nous devons faire des choix, avec une seule boussole : une action efficace et juste tournée vers la vie des Français », a t-il expliqué, mettant en garde sur le fait qu' »on ne règlera pas la crise uniquement avec des dépenses publiques ».
Urgence et approfondissement
Les trois groupes de travail du CNR ont formulé plus de 200 propositions. In fine, 19 propositions ont été remises au gouvernement par les deux coprésidents du CNR, Véronique Bédague, directrice générale de Nexity, et Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre. Elisabeth Borne en a retenu une partie, certaines étant des mesures d’urgence, d’autres des mesures structurelles, à approfondir dans les prochains mois. « Il faut agir vite et fort, il faut construire plus dans les territoires tendus. Et nous avons un modèle à réinventer pour construire là où les sols ont déjà été artificialisés. Cela impose une mobilisation collective. L’Etat prendra sa part, un Etat facilitateur, guidé par un principe, l’efficacité », a déclaré la Première ministre.
Parmi les mesures d’urgence, des mesures techniques comme la mensualisation de la révision du taux d’usure afin d’éviter le blocage des prêts aux particuliers ou la prolongation du prêt à taux zéro jusqu’en 2027, mais un PTZ resserré sur les logements collectifs neufs dans les zones tendues, donc les maisons individuelles en sont exclues, et sur le logement ancien sous conditions de rénovation dans les zones détendues, ce qui représentera un coût de 600 millions pour le finances publiques.
Ce resserrement du PTZ et la disparition du dispositif Pinel fin 2023 ont provoqué la colère des constructeurs et promoteurs immobiliers : « Sacrifier le seul outil d’accession à la propriété dans le neuf, le prêt à taux zéro (PTZ), dans plus de 90 % des communes, c’est accroître la fracture entre ceux qui ont les moyens de choisir leur mode d’habiter et ceux qui seront assignés à résidence. Supprimer le Pinel sans alternative, c’est nier le rôle du parc locatif privé pour la mobilité de nombreux Français », dénoncent, dans un communiqué commun, la Fédération de la promotion immobilière, la Fédération française du bâtiment, la Fnaim, Procivis,…
Développer le bail réel solidaire
La construction sous forme de bail réel solidaire, avec une dissociation du foncier et du bâti, portée par les offices fonciers solidaires, va être développée en incluant de nouvelles communes en zones tendues, et l’accès aux occupants du parc social va être encouragé. La construction de logements locatifs intermédiaires (LLI) va aussi être développée. CDC Habitat s’est déjà engagée à racheter 17 000 logements aux promoteurs immobiliers, dont une bonne partie pour produire du LLI, et Action logement va également s’engager dans un plan de rachat de 30 000 logements – une nouvelle convention quinquennale le liant avec l’Etat va être prochainement signée.
Le logement social mal aimé
En ce qui concerne le logement social, Elisabeth Borne a annoncé la signature prochaine du pacte de confiance avec les bailleurs sociaux. Il contiendrait de nouveaux moyens de financement, de type prêts bonifiés, et avec une durée allongée. Un dispositif va être créé pour accompagner les rénovations lourdes et les cotisations dues par les bailleurs sociaux au Fonds national des aides à la pierre et à la Caisse de garantie du logement locatif social vont être gelées pour 2023 et 2024, mais il n’a pas été précisé qui allait compenser ce gel…
Pour le secteur HLM, les mesures sont tout à fait insuffisantes. C’est « la déception face à un gouvernement qui pense pouvoir réduire la file d’attente des 2,4 millions de demandeurs en aidant encore plus le logement intermédiaire et encore moins le logement HLM », s’insurge la Fédération des offices publics de l’habitat.
L’Union sociale pour l’habitat déplore, de son côté, « l’absence aujourd’hui de mesures réinstaurant un taux de TVA réduit sur l’ensemble de la production de logements sociaux, créant de nouvelles aides pour accélérer la production de logements sociaux, en locatif comme en accession sociale à la propriété, et de mesures redonnant aux bailleurs sociaux leurs capacités d’investissements, mises à mal par la mise en place, depuis 2018, de la réduction de loyer de solidarité (RLS) ».
Sur le volet foncier, Elisabeth Borne a annoncé un renforcement du fonds « friches », qui est conforté dans la durée, le lancement d’un programme de reconversion des friches, et l’accélération de la libération du foncier public. En revanche, le travail sur la fiscalité du foncier pour la rendre plus incitative à la cession doit être approfondi.
Au rang des chantiers à travailler, on peut aussi noter la réforme de la fiscalité sur les locations de logements, pourtant très attendue par les communes touristiques noyées sous les résidences secondaires. Des mesures pourraient être introduites dans le projet de loi de finances pour 2024, a précisé Olivier Klein.
Quid des collectivités locales ?
Quant à la gouvernance du secteur du logement, alors qu’Emmanuel Macron lui-même a annoncé un nouveau volet de décentralisation, notamment dans ce domaine, Elisabeth Borne ne l’a quasiment pas abordé, sauf pour pointer du doigt les collectivités qui ne remplissent pas les objectifs de construction fixés dans leurs programmes locaux de l’habitat. « Les engagements pris dans les PLH doivent être tenus, les préfets doivent engager le dialogue avec les collectivités pour identifier les blocages et les lever, et l’Etat est prêt à prendre ses responsabilités », a-t-elle mis en garde. Elle n’a, en revanche, pas évoqué le statut d’autorité organisatrice de l’habitat, créé par la loi « 3DS » et qui pourrait permettre aux collectivités de plus adapter aux réalités locales les dispositifs de la politique du logement comme les zonages.
Pour Renaud Payre, vice-président délégué au logement à la métropole de Lyon et représentant de France Urbaine, « c’est une occasion manquée. Le point positif, c’est que le ministère nous a fait travailler tous ensemble, mais on met tout sur le logement locatif intermédiaire, et rien sur le logement social : le Fonds national des aides à la pierre est menacé, on ne pourra pas construire de logements PLAI et PLUs (aux loyers les plus bas) sans aide publique. Enfin, la Première ministre a mis une forme de pression sur les collectivités locales ».
Isabelle Le Callennec, maire de Vitré et coprésidente du groupe de travail « logement » à l’Association des maires de France, estime, pour sa part, que « certaines mesures sont imprécises, d’autres pas financées, ou remises à des dates ultérieures. Il faut que l’Etat reconnaisse que les territoires sont capables de définir leurs besoins en logements, et si on n’atteint pas les objectifs de construction, c’est parce qu’il se passe des choses sur la durée d’un programme local de l’habitat, par exemple, la RLS ponctionnée sur les bailleurs sociaux qui freine la construction. Il nous faut de la souplesse et de la différenciation ».
Christophe Robert, l’un des coprésidents du CNR, note, parmi les points faibles des annonces, « la maîtrise du foncier : il faut faire quelque chose, et c’est pareil pour les locations touristiques, il faut faire vite. Pourquoi ne pas avoir prévu une aide aux maires bâtisseurs ? On dit que cela a un effet d’aubaine, mais on sait le contourner ! «
La Première ministre et son ministre chargé du logement ont tous deux bien précisé que ce CNR n’est qu’un début, une étape. Les différents acteurs du logement attendent avec impatience les suivantes.
FOCUS
Un second volet du plan Logement d’abord
Annoncée depuis des mois, la poursuite du plan Logement d’abord a été confirmée par la Première ministre. Y seront consacrés 160 millions d’euros, alors que le CNR a évalué les besoins en financement à un montant trois fois supérieur. De nouvelles places en pensions de famille, en résidences sociales vont être créées. Par ailleurs, des propositions pour mieux lutter contre l’habitat indigne devraient être remises au ministre chargé du logement d’ici mi- juillet.
6 juin 2023
Delphine Gerbeau
pour La Gazette des Communes