Le paiement des indemnités journalières aux anciens fonctionnaires territoriaux


L’ex-fonctionnaire qui n’a pas repris d’activité permettant son affiliation à un régime de Sécurité sociale peut bénéficier des indemnités journalières versées par sa collectivité. Explications, dans cette analyse, par Christopher Sovet, avocat associé, à la Selarl DBS avocats associés. 

Christopher Sovet

Avocat associé, Selarl DBS avocats associés

Il est pleinement acquis que les fonctionnaires territoriaux relèvent d’un régime spécial de ­Sécurité sociale géré par leur collectivité (ceux dont la quotité de travail hebdomadaire est supérieure à 28 heures). A contrario, ils ne relèvent pas du régime général de ­Sécurité sociale géré par la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM).

Ainsi, lorsque le fonctionnaire remplit les conditions pour relever du régime spécial de ­Sécurité sociale, le risque lié à la maladie est supporté par sa collectivité au titre des différents régimes prévus par le code général de la fonction publique (CGFP) : congé de maladie ordinaire ou de longue maladie, maladie imputable au service (1)

Mais quand il ne remplit plus les conditions, de manière temporaire ou définitive, pour relever du régime spécial de ­Sécurité sociale (du fait d’une révocation, d’un licenciement, d’une rupture conventionnelle, d’une démission ou d’une disponibilité d’­office), la collectivité peut se retrouver dans l’obligation de ­supporter le risque lié à la maladie du fonctionnaire. Cette hypothèse moins courante et moins connue des collectivités, qui intervient le plus souvent après une radiation des cadres, permet à l’ex-­fonctionnaire de bénéficier, sous conditions, d’un maintien de ses « droits aux prestations en espèces de l’assurance maladie » payées par son ancienne collectivité.

L’objectif poursuivi par ce régime juridique est de garantir une continuité de la couverture du risque maladie puisque « l’organisme qui assure le service des prestations en espèces ne peut l’interrompre tant que l’organisme nouvellement compétent, [le nouvel organisme de Sécurité sociale, ndlr], ne s’est pas substitué à lui » (2).

Cette continuité est essentiellement assurée par la collectivité puisqu’il résulte de la combinaison des articles L.161-8L.172-2 et R.172-12-3 du code de la sécurité sociale (CSS) un principe selon lequel si l’ex-fonctionnaire ne remplit pas les conditions d’ouverture du droit aux prestations en espèces au titre d’un autre régime de ­Sécurité sociale, ce sera à la collectivité de prendre en charge financièrement le ­paiement desdites prestations.

La nature des prestations en espèces

Les prestations en espèces correspondent aux indemnités journalières qui permettent de compenser la perte de revenu due à un arrêt de travail qui est la conséquence, notamment, d’une maladie, d’une maternité… Elles se distinguent de celles en nature qui correspondent aux remboursements (totaux ou partiels) des frais de santé engagés lors d’une maladie, d’une maternité… Les prestations en nature sont toujours prises en charge par le régime général de ­Sécurité sociale.

Concrètement, le montant des indemnités journalières est calculé, au cas par cas, dans les conditions décrites aux articles L.323-1 à L.323-7 et R.323-1 à ­R.323-12 du CSS. Dans la majorité des cas, « l’indemnité journalière est égale à la moitié du revenu d’activité antérieur », étant précisé que celui-ci correspond à « 1/91,25 du montant des trois dernières paies des mois civils antérieurs à la date de l’interruption de travail ».

Le revenu d’activité antérieur servant de base de calcul, de chaque paie, est plafonné à 1,8 fois le salaire minimum de croissance (Smic) en vigueur (3). Pour 2024, le montant maximum de l’indemnité journalière est de 52,28 euros brut par jour. Enfin, les indemnités journalières sont versées à partir du quatrième jour de l’incapacité de travail puisque les trois premiers jours représentent le « délai de carence » (4).

Le régime juridique applicable

Les dispositions du code de la sécurité sociale prévoient un dispositif de maintien du droit aux prestations en espèces, à la charge de la collectivité, compte tenu de deux situations : le bénéfice (ou non) des allocations d’aide au retour à l’emploi (ARE), selon les articles L.161-8 et L.311-5 du CSS.

Pour l’ex-fonctionnaire ne percevant pas les allocations ARE

Dans cette hypothèse, il y a lieu d’appliquer les dispositions de l’article L.161-8 du CSS qui prévoient trois conditions. Afin de ­pouvoir bénéficier du dispositif de maintien du droit aux prestations en espèces pour les risques de maladie, de maternité, d’invalidité et de décès, l’ex-fonctionnaire :

  • doit continuer de remplir les conditions de résidence et de séjour mentionnées à l’article L.111-2-3 du CSS (relatives à la stabilité de la résidence et à la régularité du séjour en France) ;

  • ne remplit pas, de nouveau, les conditions d’ouverture d’un droit aux prestations en espèces dans son régime initial ou un autre régime de Sécurité sociale (liées à l’exercice d’un emploi dans des conditions permettant l’ouverture du droit aux indemnités journalières) ;

  • cesse de remplir les conditions d’activité requises pour l’affiliation à l’assurance maladie, maternité, invalidité et décès du régime de Sécurité sociale dont il relevait.

Il est à préciser que le maintien du droit aux prestations en espèces est limité dans le temps à douze mois à compter de la date d’effet de la décision de révocation, de licenciement, de mise en disponibilité… (5) Cette période peut être prolongée pour l’ex-fonctionnaire qui aurait, par la suite, la qualité de demandeur d’emploi.

Il faut ajouter que le maintien du droit à prestations en espèces est conservé pour l’ex-fonctionnaire qui justifie à nouveau des conditions d’ouverture d’un droit aux indemnités journalières au titre de sa nouvelle activité, mais dont le montant desdites indemnités journalières est nul.

Pour l’ex-fonctionnaire percevant les allocations ARE

Dans cette hypothèse, il y a lieu d’appliquer les dispositions de l’article L.311-5 du CSS qui prévoient deux conditions. Afin de pouvoir bénéficier du dispositif de maintien du droit aux prestations en espèces pour les risques de maladie, de maternité, d’invalidité et de décès, l’ex-fonctionnaire qui ne travaille pas :

  • doit percevoir l’une des allocations mentionnées à l’article L.5421-2 du code du ­travail (les allocations ARE) ;

  • ne pas exercer une activité lui permettant de remplir les conditions d’ouverture d’un droit aux prestations en espèces dans un régime de Sécurité sociale.

Il est à mentionner que le maintien du droit aux prestations en espèces reste dû pendant toute la durée de l’indemnisation au titre du chômage. Ici encore, le maintien du droit aux prestations en espèces est conservé pour l’ex-fonctionnaire qui justifie à nouveau des conditions d’ouverture d’un droit aux indemnités journalières au titre de sa nouvelle activité, mais dont le montant desdites indemnités journalières est nul.

Si, à l’issue de ses droits au chômage, l’ex-fonctionnaire n’a pas retrouvé d’activité, il bénéficiera pendant douze mois des droits acquis au titre de la dernière activité professionnelle ayant précédé la période de chômage indemnisé.

Enfin, l’ex-fonctionnaire, qui reprend une activité ne lui permettant pas de remplir les conditions d’ouverture d’un droit aux indemnités journalières, continue de bénéficier du dispositif de maintien pendant une durée de douze mois à compter de la date de la reprise d’activité (6). Dans ce cas, il est important, pour la collectivité, de se rapprocher régulièrement de la CPAM territorialement compétente de manière à savoir si l’ex-fonctionnaire, au titre de sa nouvelle activité, remplit les conditions d’ouverture d’un droit aux prestations en espèces. Dans l’affirmative, la collectivité se retrouve déchargée de son obligation de maintien : elle peut cesser de verser les indemnités journalières.

Le versement des indemnités journalières est, par principe, temporaire

De manière générale, il résulte de la combinaison des articles L.313-1 et R.323-1 du CSS que le versement des ­indemnités ­journalières à l’assuré (de quelque nature que ce soit) qui se trouve dans l’incapacité physique de continuer ou de reprendre un travail est limité dans le temps. Plus précisément, le nombre maximal d’indemnités journalières que peut recevoir l’assuré, pour une période quelconque de trois ans, est fixé à 360. Par exception, pour l’assuré qui justifierait d’une affection de longue durée (ALD), celui-ci peut bénéficier du versement des indemnités journalières pour une période supérieure à trois ans.

S’agissant, en particulier, du dispositif de maintien (au titre des articles L.161-8 et L.311-5 du CSS), il est aussi temporaire puisque limité à douze mois. Par ailleurs, si l’ex-fonctionnaire vient à remplir les conditions pour bénéficier d’un autre régime obligatoire d’assurance maladie, le droit aux prestations en espèces du régime auquel il était rattaché antérieurement est supprimé : la collectivité se retrouve déchargée de son obligation de verser les indemnités journalières.

Une compétence du juge judiciaire

Il résulte de l’article L.142-1 du CSS que « le contentieux de la ­Sécurité sociale ­comprend les litiges relatifs […] à l’application des législations et réglementations de ­Sécurité sociale comprenant le paiement des indemnités journalières […] ».

L’article L.142-3 du CSS ajoute que « le juge judiciaire connaît des contestations relatives […] au contentieux de la Sécurité sociale défini à l’article L.142-1… »

Sur le fondement de ces dispositions, la jurisprudence a eu l’occasion d’affirmer à plusieurs reprises que, s’agissant des décisions relatives à la gestion d’un régime ­spécial de Sécurité sociale prises par une administration, c’est le juge ­judiciaire qui est compétent (7).

RÉFÉRENCES

10 avril 2024

La Gazette des Communes