La froideur hiérarchique ne vaut pas accident de service
La cour administrative d’appel de Nantes vient de juger du cas d'une fonctionnaire qui avait demandé la reconnaissance de l'imputabilité au service de l'accident (psychologique) qu’elle estimait avoir subi suite au retour que ses supérieurs avaient fait à un projet de courrier écrit par ses soins en faveur de son avancement. Celui-ci avait été renvoyé barré d’un trait de stylo, sans aucun commentaire. Les modalités de retour de ce courrier n'excèdent cependant pas l’exercice du pouvoir hiérarchique et ne peuvent être qualifiées d’accident de service, estiment les juges.
Les supérieurs de fonctionnaires peuvent procéder à la correction d’écrits de leurs agents sans que cela n’excède l’exercice normal de leur pouvoir hiérarchique. C’est ce que vient d’indiquer la Cour administrative d’appel de Nantes au détour d’un arrêt du 3 juin relatif au cas d’une directrice des services des greffes affectée au tribunal de grande instance (TGI) de Nantes.
En janvier 2019, cette fonctionnaire avait adressé un projet de courrier à la signature conjointe du président de ce tribunal et du procureur de la République “à l’effet de formuler leur avis pour son inscription au tableau d’avancement au grade de directeur hors classe”. Ledit courrier contenait des mentions, rédigées par ses soins, très favorables à son avancement. Trois jours plus tard, ce courrier lui avait renvoyé barré d’un trait de stylo, sans aucun autre commentaire.
À la suite de cet évènement, cette fonctionnaire avait été placée en congé de maladie pour souffrance psychologique. Un arrêt renouvelé pendant près d’une année. L’intéressée avait ensuite déposé une déclaration d’accident de service. Ses supérieurs ont néanmoins refusé de reconnaitre comme imputable au service l’accident déclaré par l’intéressée, à savoir le retour du courrier barré qui, selon elle, aurait eu des conséquences sur son état psychologique. Face au refus de ses supérieurs de reconnaître cet évènement comme un “accident de service”, cette fonctionnaire avait décidé de saisir la justice. Son recours ayant été rejeté en première instance par le tribunal administratif de Nantes, elle avait amors décidé de faire appel devant lacour administrative d’appel de cette même ville.
Un courrier barré brutal selon la requérante
Aux yeux de la requérante, “c’est à tort [que les premiers juges ont considéré] que procéder à des corrections d’écrits n’excéderait pas l’exercice normal des pouvoirs hiérarchique”. Selon elle, la manière de procéder de ses supérieurs de juridiction aurait été “particulièrement brutale”, d’autant plus que le courrier en litige concernait la gestion et l’avancement de sa carrière et “revêtait nécessairement une importance particulière pour elle à la mesure des responsabilités qu’elle exerçait et de son investissement dans ses fonctions”. Ce courrier raturé “ne signifiait pas seulement que sa communication posait difficulté mais valait également et surtout refus d’avancement”, ajoutait-elle. Autant d’arguments que rejette aujourd’hui la cour administrative d’appel de Nantes.
Dans leur arrêt, les juges d’appel rappellent tout d’abord les règles législatives et réglementaires relatives aux accidents de service dans la fonction publique. “Constitue un accident de service, un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l’occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci”. Aussi, expliquent les juges, “un entretien, notamment d’évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service, quels que soient les effets qu’il a pu produire sur l’agent”. Et ce, “sauf à ce qu’il soit établi qu’il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique”. Ce pouvoir hiérarchique peut néanmoins conduire le supérieur à “adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires”.
Exercice normal du pouvoir hiérarchique
Dans l’affaire en question, la fonctionnaire requérante avait fait déposer au secrétariat du président du TGI de Nantes un parapheur contenant “un mémoire établi par ses soins de proposition pour l’accès au choix au grade de directeur hors classe”. À ce mémoire était joint un projet de courrier destiné à être signé par ses supérieurs pour être transmis aux chefs de cour. Rédigé également par ses soins, ce courrier indiquait que ses supérieurs émettaient un avis “très favorable” à son inscription au tableau d’avancement.
En réponse, le président du tribunal et le procureur avaient fait un retour à la requérante en barrant, sans autre explication, d’un trait de stylo le projet de courrier qu’elle avait rédigé. Des modalités qui, selon ses supérieurs, avaient pour objectif de manifester leur désapprobation sur la façon de procéder de cette fonctionnaire. Une démarche de l’administration que ne désapprouve pas la cour administrative d’appel de Nantes, selon qui “il entre dans l’exercice normal du pouvoir hiérarchique de procéder à des corrections d’écrits ou de refuser de valider un projet de courrier s’agissant singulièrement d’un avis requis pour proposer une promotion”.
“Dans ces conditions, les modalités de retour du courrier d’accompagnement de sa proposition d’avancement ne sauraient être regardées comme un évènement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service, quels que soient les effets qu’ils ont pu produire sur l’intéressée, et quand bien même celle-ci n’aurait pas commis de faute personnelle”, concluent les juges d’appel. Ils rejettent donc la requête de la fonctionnaire requérante et confirment le jugement rendu en première instance par le tribunal administratif de Nantes.
19 juin 2025
Bastien Scordia
pour ACTEURS PUBLICS