Fonction publique : les règles de “CDIsation” en partie censurées par le Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel vient de censurer une partie des règles relatives aux contrats à prendre en compte pour la transformation des contrats à durée déterminée (CDD) des agents contractuels de l'État en contrats à durée indéterminée (CDI). La Rue de Montpensier a vu une différence de traitement injustifiée dans la non‑prise en compte des contrats conclus pour répondre à un “besoin temporaire” de l'administration. Le gouvernement Bayrou pourrait rapidement rectifier le tir.
Le processus dit de “CDIsation” au sein de la fonction publique n’est pas totalement conforme à la Constitution. C’est ce qu’a récemment jugé le Conseil constitutionnel en censurant une partie des règles relatives aux contrats à prendre en compte dans la durée requise pour CDIser un contractuel dans la fonction publique d’État.
Selon un principe bien connu des agents publics, la durée d’un CDD est de trois ans maximum dans la fonction publique, renouvelables dans la limite de six ans maximum. Une fois passé ce délai de six années, le nouveau contrat d’un agent contractuel ne peut être renouvelé qu’en CDI. Dans la fonction publique d’État, cette faculté d’être “CDIsé” ne vaut toutefois que pour les agents contractuels occupant en dernier lieu un emploi qui, selon la terminologie du droit de la fonction publique, répond à un “besoin permanent” de l’administration selon l’article L.332 - 4 du code général de la fonction publique (CGFP).
Il n’en va pas de même pour les contrats répondant à un “besoin temporaire”, c’est‑à‑dire ceux conclus pour “faire face à une vacance temporaire d’emploi dans l’attente du recrutement d’un fonctionnaire”. Ceux‑ci ne figurent pas dans la liste des contrats pris en compte pour le calcul de la durée de six ans nécessaires pour une CDIsation, contrairement à ce qui prévaut dans la territoriale et l’hospitalière. Une limitation et une différence de traitement dont la légalité était contestée devant le Conseil constitutionnel.
Recours d’une contractuelle des Armées
Renvoyée Rue de Montpensier fin mai par le Conseil d’État, la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) en question avait été soulevée par une contractuelle du ministère des Armées. Recrutée tout d’abord en qualité de “technicienne d’exploitation informatique de catégorie B” par l’École de Santé de Lyon de Bron par plusieurs CDD successifs renouvelés du 1ᵉʳ décembre 2017 au 31 mars 2019, celle‑ci avait ensuite été engagée pour exercer les fonctions de “chargée de l’édition multisupports de catégorie A” au sein de ce même établissement par trois contrats consécutifs de travail, à durée déterminée également. Le dernier de ces contrats avait été conclu du 1er avril au 31 décembre 2024.
Or, en juillet 2024, cette contractuelle avait été informée du non‑renouvellement de son contrat et du refus de transformation de son contrat en CDI. L’administration avait estimé que les premiers CDD qu’elle avait conclus l’avaient été pour faire face à une vacance temporaire d’emploi, dans l’attente du recrutement d’un fonctionnaire, et ne pouvaient être pris en compte pour une éventuelle CDIsation. Une décision qu’elle avait décidé de contester en justice.
Sa requête ayant été rejetée en première instance en janvier 2025 par le tribunal administratif de Lyon, celle‑ci s’était pourvue en cassation devant le Conseil d’État pour obtenir satisfaction. À l’appui de son recours, l’intéressée avait soulevé la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l’article L.332.4 du CGFP. À savoir l’article relatif aux contrats pris en compte pour la CDIsation des contractuels dont est à l’origine la loi du 12 mars 2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels dans la fonction publique.
Différence de traitement
La requérante reprochait à ces dispositions d’exclure les périodes accomplies pour faire face à une vacance temporaire d’emploi de la comptabilisation de la durée de six années de services publics au terme de laquelle un agent contractuel de l’État peut avoir droit à un CDI. Selon elle, ces dispositions institueraient ainsi une différence de traitement injustifiée entre les agents concernés et les autres agents contractuels ayant occupé des emplois répondant à des besoins temporaires pour lesquels est prise en compte la durée de services accomplie en application de leur contrat. Il en résulterait à ses yeux “une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi” ainsi qu’une atteinte au droit constitutionnel d’obtenir un emploi.
Comme le rappelle le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet, le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
Or, poursuit‑il, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 12 mars 2012, qui est à l’origine des dispositions de l’article L. 332 - 4 du code général de la fonction publique, qu’en les adoptant, “le législateur a entendu prévenir les situations de renouvellements abusifs de contrats à durée déterminée et sécuriser les parcours professionnels des agents contractuels de l’État”. “À cet égard, il n’a entendu opérer aucune distinction, pour le calcul de la durée de six ans de services ouvrant droit à un contrat à durée indéterminée, entre les différents contrats à durée déterminée conclus pour répondre à des besoins temporaires”,développent les juges.
Report de la date d’abrogation
Dès lors, la différence de traitement instituée par les dispositions contestées “est sans rapport avec l’objet de la loi”, poursuit le Conseil constitutionnel en pointant une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi. D’où leur censure. Quid, néanmoins, de cette déclaration d’inconstitutionnalité ?
En l’espèce, l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait pour effet de supprimer la prise en compte des périodes effectuées en contrat à durée déterminée dans le calcul de la durée de six années de services publics ouvrant droit à un contrat à durée indéterminée. “Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives”, explique la Rue de Montpensier, qui décide donc de reporter au 1er octobre 2026 la date de l’abrogation de ces dispositions.
“En revanche, afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée, il y a lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou, au plus tard, jusqu’au 1er octobre 2026, les services accomplis dans des emplois occupés pour faire face à une vacance temporaire d’emploi doivent être pris en compte dans le calcul de la durée de six années prévue obtenir un CDI”, explique le Conseil. Le gouvernement Bayrou pourrait néanmoins rapidement y remédier dans le cadre du projet de loi de simplification des procédures RH que le ministre Laurent Marcangeli compte porter à l’automne.
18 août 2025
Bastien Scordia
pour ACTEURS PUBLICS