Procédure disciplinaire : droits de la défense et protection des témoins


Les agents faisant l’objet de procédures disciplinaires disposent de divers droits, comme celui d’être assisté tout au long de la procédure et de­ présenter des observations. 

Jennifer Riffard, avocate au cabinet Adaltys, décrypte la jurisprudence récente qui a apporté des précisions sur leur étendue et leur mise en œuvre :

Parmi les droits reconnus aux agents faisant l’objet de procédures disciplinaires figurent notamment : le droit d’être informé de la procédure engagée et des faits reprochés, celui d’obtenir la communication intégrale du dossier individuel et celui d’être assisté tout au long de la procédure et de­ ­présenter des observations (1).

Le juge administratif veille au respect de ces droits et ne cesse d’apporter des précisions sur leur étendue et leur mise en œuvre. S’agissant du droit à obtenir la communication du dossier individuel, celui-ci s’entend de la communication du dossier administratif et du dossier disciplinaire. Concrètement, le juge administratif considère que les droits de la défense ne sont pas respectés et que la procédure suivie est viciée lorsque la sanction est prise à raison de faits qui sont établis par des pièces qui n’étaient pas versées au dossier de l’agent et dont il n’a pas pu, dans ces conditions, prendre connaissance (2). La sanction ne doit donc en aucun cas être prise au vu de pièces autres que celles figurant au dossier et dont l’agent a été mis à même de prendre connaissance (3).

Si le juge ne cesse de s’assurer que les droits de la défense sont respectés et que les pièces établissant les faits sanctionnés ont été communiquées à l’agent dans le cadre de la procédure, il aménage également ce droit dans le but de protéger les personnes ayant témoigné des faits fautifs reprochés à l’agent poursuivi.

Ainsi, des jurisprudences récentes imposent à l’administration, par principe, de communiquer aux agents poursuivis les comptes rendus d’enquête et les procès-verbaux d’audition lorsque la procédure disciplinaire se fonde sur des faits établis par l’enquête, tout en réservant l’hypothèse dans laquelle la transmission de ces pièces serait susceptible de porter préjudice aux témoins.

De même, le juge administratif a pu préciser les conditions dans lesquelles l’administration pouvait régulièrement anonymiser les témoignages versés au dossier disciplinaire.

La communication des rapports d’enquête et des procès-verbaux d’audition

« Lorsqu’une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d’un agent public ou porte sur des faits qui, s’ils sont établis, sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire ou de justifier que soit prise une mesure en considération de la personne d’un tel agent, le rapport établi à l’issue de cette enquête, y ­compris lorsqu’elle a été confiée à des corps d’inspection, ainsi que, lorsqu’ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l’agent faisant l’objet de l’enquête font partie des pièces dont ce dernier doit ­recevoir communication » (4).

L’administration peut toutefois s’opposer à la communication des procès-verbaux lorsqu’elle porterait gravement préjudice aux personnes ayant témoigné.

Le juge administratif a apporté des précisions, depuis les premières décisions rendues essentiellement au cours de l’année 2021, sur les conditions de mise en œuvre de ce principe. Ainsi, en premier lieu, encore faut-il, pour que la non-communication des ­procès-verbaux d’audition vicie la procédure disciplinaire, que de telles pièces aient été établies (5).

A cet égard, il a également été jugé que, s’agissant d’une enquête administrative dans le cadre de laquelle 85 agents avaient été sollicités pour faire part de leurs observations quant au comportement de l’agent mis en cause, les contributions émanant de personnes ayant indiqué qu’elles ne pouvaient relater aucun comportement de l’agent concerné, à charge comme à décharge, ne pouvaient être regardées comme des procès-verbaux d’audition. La non-communication de ces contributions n’était donc pas de nature à vicier la procédure (dans le cadre de cette ­procédure, l’agent s’était par ailleurs vu communiquer les autres contributions, dans le cadre desquelles les agents sollicités avaient présenté des observations sur son comportement) (6).

En deuxième lieu, le Conseil d’Etat a précisé que la non-communication des procès-verbaux d’audition ne vicie la procédure disciplinaire que lorsque l’agent a sollicité leur communication dans le cadre de cette procédure. Cette condition ne vaut, par définition, que quand l’agent avait connaissance de l’existence de ces pièces (7). A l’inverse, la procédure est viciée par le simple fait que les procès-verbaux d’audition ne sont pas versés au dossier de l’agent lorsqu’il n’a pas connaissance de leur existence.

En pratique, l’agent qui avait connaissance de l’existence des procès-verbaux et qui n’en a pas reçu la communication doit, s’il souhaite contester la régularité de la procédure disciplinaire, être en mesure de démontrer qu’il en avait demandé la communication dans le cadre de cette procédure.

En troisième lieu, la communication d’une synthèse des témoignages recueillis dans le cadre de l’enquête administrative est insuffisante pour assurer le respect du droit à la communication de l’intégralité du dossier individuel (8).

En dernier lieu, comme indiqué ci-­dessus, l’administration peut refuser de communiquer les procès-verbaux d’audition lorsque cette communication porterait gravement préjudice aux personnes ayant témoigné.

Cependant, l’administration, qui peut se prévaloir d’un risque de préjudice grave pour les personnes auditionnées, doit, si elle refuse de communiquer leurs procès-verbaux, informer l’agent public, de façon suffisamment circonstanciée, de la teneur de ces pièces, afin de lui permettre de se défendre (9).

En outre, si cette exception au principe de communication vise à assurer la protection des témoins, il s’avère que l’existence d’un préjudice grave permettant de s’affranchir de l’obligation de communication n’est à ce jour admise que dans des hypothèses exceptionnelles.

A titre d’exemple, la communication des procès-verbaux n’est pas de nature à porter gravement préjudice aux témoins lorsque ceux-ci ne sont plus sous l’autorité de l’agent, compte tenu de son changement d’affectation, et que, en outre, les témoignages non communiqués étaient soit favorables à l’agent, soit neutres et qu’enfin, les noms des agents auditionnés étaient, en tout état de cause, mentionnés dans le rapport d’enquête (10).

Le juge administratif a toutefois eu l’occasion de juger que la communication aux agents poursuivis des comptes rendus des entretiens menés dans le cadre d’une enquête aurait pu gravement préjudicier aux témoins et qu’ainsi, l’absence de communication de ces pièces ne caractérisait pas une violation du principe du contradictoire. Dans cette affaire, le président d’une chambre de métiers et de l’artisanat avait été sanctionné au terme d’une enquête lors de laquelle les agents auditionnés avaient évoqué des dysfonctionnements, conflits, humiliations et pressions, mettant en cause des membres de la ­direction de la ­structure (11).

L’ anonymisation des témoignages

Les témoignages recueillis dans le cadre d’une enquête administrative ou en dehors d’une telle enquête doivent, comme indiqué ci-dessus, être communiqués à l’agent qui fait l’objet d’une procédure disciplinaire, à raison de faits établis par ces témoignages.

La non-communication de ces témoignages n’est possible, comme indiqué ci-dessus, que dans des hypothèses exceptionnelles, lorsque l’administration est en mesure de démontrer que la communication de ces pièces est susceptible de porter gravement préjudice aux témoins.

Le juge administratif a également apporté des précisions sur les conditions dans lesquelles l’administration pouvait décider de communiquer ces témoignages, tout en les anonymisant. Ainsi, l’administration peut légalement infliger à un agent une sanction sur le fondement de témoignages qu’elle a anonymisés à la demande des témoins, lorsque la communication de leur identité serait de nature à leur porter préjudice.

Dans ce cas, il lui appartient toutefois, dans le cadre de l’instance contentieuse engagée par l’agent contre cette sanction, et si ce dernier conteste l’authenticité des témoignages ou la véracité de leur contenu, de produire tous éléments permettant de démontrer que la qualité des témoins correspond à celle qu’elle allègue et tous ­éléments de nature à corroborer les faits ­relatés dans les témoignages.

Le Conseil d’Etat a précisé que la conviction du juge se déterminait au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut ­compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile (12).

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a jugé que l’administration ne pouvait pas se fonder exclusivement sur des témoignages anonymisés, puisque ces éléments ne suffisaient pas à apporter la preuve de la réalité des faits, qui étaient contestés par l’agent.

Par ailleurs, il a été jugé que l’anonymisation des témoignages, justifiée par la demande des intéressés qui avaient exprimé des craintes à propos des réactions de leurs collègues, n’était pas contraire à l’obligation de loyauté dans l’administration de la preuve et n’interdisait pas à l’admi­nistration de prendre en compte ces témoignages. Le juge a, en outre, considéré que le caractère anonyme des témoignages n’avait pas empêché l’agent de présenter ses observations, dès lors que ces témoignages apportaient des précisions sur les circonstances dans lesquelles les témoins avaient été amenés à travailler avec l’agent ou à être témoins de son comportement. De plus, d’autres témoignages, non anonymisés, permettaient de conforter la teneur des témoignages anonymisés (13).

Enfin, il a été jugé que l’administration avait pu légalement estimer que le fait de communiquer les témoignages écrits de 37 élèves, mineurs, amenés à s’exprimer sur le comportement inapproprié d’un enseignant à l’égard des élèves de sexe féminin, avec les noms de leurs auteurs, était de nature, eu égard au jeune âge des lycéennes ayant témoigné, à leur porter gravement préjudice. Par ailleurs, le juge a relevé que le rapport d’enquête apportait des précisions sur le nombre de faits relatés par classe et que l’ensemble des témoignages étaient très circonstanciés. L’agent avait donc été mis en mesure de préparer utilement sa défense et la procédure suivie n’était donc pas viciée (14).

L’importance du respect des droits de la défense

En définitive, et en l’état de la jurisprudence, les collectivités doivent avoir à l’­esprit, lorsqu’elles diligentent des enquêtes internes ou externes, que les comptes rendus de ces enquêtes, tout comme les ­procès-verbaux d’audition établis, devront être versés au dossier disciplinaire de l’agent qui ferait, à l’issue de ces enquêtes, l’objet d’une procédure disciplinaire.

La pratique consistant à garantir aux agents entendus, pour leur permettre de s’exprimer sans crainte, la non-diffusion de leur témoignage, doit donc être revue. De même, l’anonymisation des témoignages ne peut être assurée aux témoins que lorsque la communication de leurs témoignages non anonymisés pourrait leur porter préjudice et que l’anonymisation n’empêche pas l’agent poursuivi de présenter des observations pour se défendre. Ainsi, les témoignages anonymisés doivent être suffisamment circonstanciés et l’administration doit pouvoir se fonder sur d’autres pièces pour établir la véracité de ces témoignages.

Enfin, il est important de souligner que les règles de communication des témoignages dans le cadre de la procédure disciplinaire, qui visent à assurer le respect des droits de la défense, sont spécifiques et distinctes­ de celles régissant le droit à commu­nication des documents administratifs.

Par conséquent, le fait que la Commission d’accès aux documents administratifs, saisie par l’agent poursuivi, ait pu considérer que les témoignages le mettant en cause ne lui étaient pas communicables, sur le fondement des règles issues du code des relations entre le public et l’administration, est sans incidence sur l’application des règles spéciales applicables en matière disciplinaire (15).

RÉFÉRENCES

Source 

La Gazette des Communes