Insuffisance professionnelle : le juge recadre l’appréhension de la manière de servir


Le tribunal administratif de Marseille vient d’annuler la prolongation de stage d’une fonctionnaire stagiaire. Cette décision avait été prise par son employeur en raison de l’insuffisance professionnelle supposée de l’intéressé. Pour les juges, l’administration a commis une erreur manifeste d’appréciation en ne prenant pas en compte l’expérience passée de cette fonctionnaire comme contractuelle.

Les administrations qui souhaitent prolonger les stages de leurs fonctionnaires stagiaires doivent étayer ce motif d’insuffisance sans quoi la prolongation de ces stages peut être annulée par le juge. Preuve en est le jugement que le tribunal administratif de Marseille vient de rendre à propos d’une fonctionnaire stagiaire de l’hospitalière qui demandait l’annulation de la prorogation de son stage qui avait retardé sa titularisation. 

Initialement recrutée en CDD en 2007 comme psychologue contractuelle au sein d’un centre hospitalier, celle-ci avait alors vu son contrat renouvelé avant d’être transformé en CDI en 2008. Elle avait ensuite été nommée dans le grade de psychologue stagiaire de classe normale en janvier 2022 pour une durée d’un an. En février 2023, son employeur avait malgré tout décidé de proroger la durée de son stage de six mois au motif d’une insuffisance professionnelle de l’intéressée. Le centre hospitalier en question lui avait aussi indiqué que cette période ne serait pas prise en compte dans le calcul de son ancienneté au moment de sa titularisation. 

Pour cette fonctionnaire stagiaire, cette décision de prolongation dudit stage était “insuffisamment motivée” et entachée d’une “erreur de droit” et d’une “erreur manifeste d’appréciation” de son employeur. Elle en demandait ainsi l’annulation. Les juges lui donnent aujourd’hui raison. 

Une manière de servir à prendre dans son ensemble 

Le tribunal administratif le rappelle dans son jugement : “Pour apprécier la légalité d’une décision de prorogation de stage, il incombe au juge de vérifier qu’elle ne repose pas sur des faits matériellement inexacts, qu’elle n’est entachée ni d’erreur de droit ni d’erreur manifeste dans l’appréciation de l’insuffisance professionnelle de l’intéressé, qu’elle ne revêt pas le caractère d’une sanction disciplinaire et n’est entachée d’aucun détournement de pouvoir”. 

Par ailleurs, poursuivent les juges, une insuffisance professionnelle “ne saurait résulter d’un acte ponctuel et isolé ou de difficultés passagères”. Au contraire, une telle insuffisance doit résulter “d’une manière de servir, qui, prise dans son ensemble, révèle l’incapacité de l’agent stagiaire à accomplir correctement les missions qui lui sont confiées dans le cadre normal des fonctions auxquelles il peut être appelé”. 

Dans l’affaire en question, pour prolonger le stage de la requérante, son employeur s’était fondé sur sa prétendue insuffisance professionnelle et sa manière de servir. “Toutefois, s’il lui est reproché une année de stage non concluante avec des points d’amélioration attendus concernant sa posture dans ses relations avec la hiérarchie directe ou fonctionnelle, ce grief, formulé uniquement de façon générale, n’est étayé par aucune pièce”, explique le tribunal. Surtout, ajoute-t-il, la requérante avait exercé depuis près de quinze ans en tant que psychologue contractuelle au sein de son centre hospitalier.

Elle avait aussi “fait l’objet d’excellentes évaluations” et “d’un avis très favorable de son supérieur hiérarchique à sa CDIsation dès 2008”, est-il écrit dans le jugement. “Dans ces conditions, en décidant de proroger le stage (de la requérante) d’une durée de six mois, le directeur de son centre hospitalier a entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation”, conclut le tribunal en annulant la prolongation de stage de la requérante et en enjoignant à son employeur de la titulariser.

2 septembre 2024 
Bastien Scordia 
pour ACTEURS PUBLICS