Dans les collectivités, la retraite progressive se fait attendre !

Rédigé le 11 octobre 2023

Inscrite dans la réforme des retraites entrée en application depuis le 1ᵉʳ septembre, l’extension au public du droit à la retraite progressive suscite beaucoup d’intérêt dans la territoriale, tant du côté des agents que des employeurs. Mais la mise en œuvre effective de ce nouveau droit pourrait n’intervenir qu’au printemps prochain.

C’est un nouveau droit pour les agents du public : depuis le 1ᵉʳ septembre, date d’entrée en vigueur de la loi du 14 avril qui porte la réforme des retraites, ceux-ci ont accès au dispositif de retraite progressive qui existe déjà dans le privé. Une bonne nouvelle pour tous ceux qui, du fait du décalage de l’âge légal de départ et de l’augmentation de la durée de cotisation requise, voient s’éloigner la perspective de leur fin de carrière : « Dès qu’ils ont eu cette information par les médias, les agents se sont montrés très intéressés, témoigne Isabelle Debest, DRH du Conseil départemental du Gers. Pour eux, ce peut être un moyen de tenir quelques trimestres de plus, car 64 ans, ça fait loin, dans leur tête ».

Au Centre de gestion (CDG) du Rhône, à l’occasion d’une journée d’actualité sur la réforme, le 14 septembre, les gestionnaires RH des collectivités affiliées ont, eux aussi, transmis de nombreuses questions à ce sujet.

De son côté, Bruno Jarry, DRH du Conseil départemental du Maine-et-Loire, entrevoit qu’il « va falloir beaucoup expliquer, car le dispositif semble très différent de la Cessation progressive d’activité (CPA) qui existait par le passé dans la fonction publique ».
Entre autres différences : « Il ne coûtera rien aux collectivités, contrairement au CPA. Elles y seront donc sans doute moins réticentes », estime Gladys Gavieiro Gonzalez, responsable du service retraite du Centre interdépartemental de gestion (CIG) de la Petite couronne parisienne. 

« Rendre les derniers mois de carrière supportables »

Elles se montrent même très intéressées par ce qui pourrait être un moyen d’accompagner l’allongement des carrières sans voir flamber les arrêts maladie longs ou les situations d’invalidité : « De mon point de vue d’employeur, témoigne Vincent Lescaillez, DGA aux RH de Bordeaux Métropole, Ville et CCAS, il me semble intéressant d’explorer ce dispositif comme solution permettant de rendre les derniers mois de carrière supportables et d’avoir une contribution efficace de l’agent au service ».

À la CNRACL, d’ailleurs, « depuis quelques semaines, la très grande majorité des appels des employeurs porte particulièrement sur les conditions de mise en place de la retraite progressive (4 appels sur 5 au cours des deux dernières semaines) », rapporte Thierry Ravot, directeur de l’établissement de Bordeaux de la direction des politiques sociales de la Caisse des Dépôts, le gestionnaire du régime. Il entrevoit d’ailleurs que le déploiement de la retraite progressive nécessitera sans doute un renforcement des équipes de la Caisse.

Seulement voilà, explique Marie Billon, responsable du service retraite du CDG du Rhône : « Nous ne savons pas encore comment instruire les dossiers, alors que, depuis le 1ᵉʳ septembre, les collectivités doivent accepter les demandes de passage à temps partiel dans ce but si l’agent remplit les conditions d’éligibilité à la retraite progressive » (être au plus à deux ans de l’âge légal de la retraite, avoir au moins 150 trimestres cotisés…). En clair, le droit des fonctionnaires territoriaux à bénéficier de la retraite progressive, comme tout actif, est bien prévu par la loi, mais ce droit ne peut pas encore être pleinement mis en œuvre.

Adaptation en cours à la Caisse des dépôts

Le décret d’application sur la retraite progressive paru le 10 août (décret n° 2023-753), en effet, ne s’applique aux agents que d’un seul versant de la fonction publique : celui de l’État. La Foire aux questions publiée par la DGAFP dans la foulée, elle aussi, n’indique les modalités de dépôts d’une demande qu’au Service des retraites de l’État.

Les régimes, en outre, peinent à mettre en place un dispositif techniquement complexe, puisque celui-ci doit permettre une première liquidation partielle de la retraite, puis une seconde au moment où la personne cesse toute activité. « Il a été dit que c’est la dernière caisse de cotisation du salarié qui fera la première liquidation, poursuit Marie Billon, mais la CNRACL nous dit qu’elle est encore en train de mettre à jour ses outils ».

Ce que confirme Thierry Ravot : « Le processus de liquidation de la retraite progressive est en cours d’élaboration dans les outils internes de la Caisse des Dépôts. Il pourra être déployé à la fin du 1ᵉʳ trimestre 2024 ». Il explique que « la finalisation parfaite du processus dépend cependant des moyens mis à disposition des régimes pour transmettre et recevoir le résultat de leur instruction initiale des demandes d’éligibilité à la retraite progressive. En effet, le dernier régime de l’assuré est destinataire de sa demande de liquidation de retraite progressive et doit informer les autres régimes auxquels il a été affilié de la recevabilité de celle-ci (examen de la condition d’âge, de durée d’assurance et de quotité de temps de travail) ».

Éviter les « jalousies »

Les employeurs territoriaux découvrent même d’autres questions encore, auxquelles ils aspirent à avoir des réponses : « Certains nous ont fait remarquer que le temps partiel thérapeutique n’ouvre pas droit à la retraite progressive, souligne Marie Billon. Or un grand nombre d’agents ayant été en arrêt-maladie basculent en temps partiel thérapeutique, surtout vers la fin de carrière ». Sans compter, remarque Isabelle Debest, que « la retraite progressive devient à présent une question managériale à laquelle il va falloir réfléchir ».

Directrice du pôle RH de Quimperlé Communauté, Céline Dubé-Jardin en a également conscience : « Il s’agit d’une opportunité de mieux accompagner les fins de carrière, mais les collectivités ont un gros travail à faire : il faut se définir des priorités permettant d’accepter des départs en retraite progressive, moyennant des solutions d’organisation, ou d’en refuser pour raisons de service. Faute de quoi cela sera source de jalousies ».

10 octobre 2023
Véronique Vigne-Lepage 
pour La Gazette des Communes